Adapter l’un des chefs-d’œuvre de Victor Hugo en BD, une gageure ! En deux albums ? Impossible… Et pourtant… Ce formidable diptyque signé Robin Recht et superbement mis en image par un Jean Bastide particulièrement inspiré montre qu’il n’en est rien…
L’histoire et les protagonistes sont connus de tous. Paris, XIVième siècle. Une jeune et magnifique gitane dans sur le Parvis de Notre-Dame. Sa beauté fulgurante va causer sa perte. L’archidiacre de la cathédrale va tomber fous amoureux d’elle et sera prêt à tout pour parvenir à ses fins. Il a tenté de la faire enlever par son fidèle Quasimodo qui le craint et le respecte. Mis en échec par le flamboyant Phoebus, capitaine de la Garde, le bossu est arrêté et condamné au pilori. Esmeralda, dans un geste de bonté et de charité, va lui tendre la main et lui porter à boire… Mais la gitane est tombée sous le charme du beau Phoebus qui, bien que fiancé à la belle Fleur-de-Lys, compte bien l’accrocher à son tableau de chasse… Objet du désir coupable de ces trois hommes, le destin d’Esmeralda semble scellé…
Robin Recht et Jean Bastide signe un second opus de toute beauté. Après un premier opus captivant, tant pour son scénario impeccablement découpé que pour ses dessins envoûtants, voilà donc le second tome de la série, qui est aussi… le dernier! On pourra regretter que suite à l’échec commercial du premier tome ce qui était annoncé comme un triptyque devienne un diptyque, obligeant les lecteurs à condenser l’intrigue ou à gommer certains événements… Néanmoins, la façon dont les deux auteurs sont parvenus à conserver les lignes de force de l’intrigue force le respect: être parvenu en deux albums à peine à retranscrire l’esprit du roman était un pari (Paris ?) fou mais le talent des auteurs aidant, ce diptyque rend hommage à l’œuvre de Victor Hugo sans la dénaturer.
Une fois encore, difficile de ne pas tomber sous le charme de la superbe couverture qui est une invitation à ouvrir le livre… Sitôt fait, difficile de le refermer avec la tragique et romantique conclusion. L’idée de décentrer le récit et de faire de Gringoire le narrateur est un artifice narratif, particulièrement audacieux permettant de placer le récit à hauteur d’homme… La façon dont Gringoire vieillissant est interrompu par l’auditoire attentif évoque le sublime
Princesse Bride de William Goldman (adpaté au cinéma par Rob Reiner en 1987) et conserve sa fraîcheur et son efficacité… L’idée d’estomper la fin sublime mais connue pour en proposer une autre tout aussi émouvante achève de convaincre de la formidable qualité de réécriture de l’histoire…
Les planches de Jean Bastide sont tout justes sublimes. Son trait, formidablement dynamique et expressif, est rehaussé par des couleurs éclatantes de toute beauté… Son travail plein de fraîcheur déborde d’énergie et ses personnages, très expressifs, contribue grandement à la force du récit… Sa galerie de personnages est d’une incroyable richesse. Son formidable casting fait que chaque personnage a une trogne qui colle lui sied parfaitement. Sa reconstitution fantasmée du Paris du XIIIième siècle est particulièrement saisissante. Faisant fi du carcan historique qui aurait pu devenir étouffant, il propose une vision romantique et sublimée de la cité, écartelée entre splendeurs et misères, entre ombres et lumières…
Ananké clôt de façon très convaincante cette sublime trahison qui conserve toute sa force malgré le raccourci éditorial qu’a dû emprunter ce récit qui pourtant ne déméritait pas. Espérons que ce formidable travail donnera envie aux lecteurs de (re)découvrir ce chef d’œuvre de la littérature… Adapter un roman de près de mille pages en BD était un défi impossible… Les auteurs l’ignoraient sans doute, puisqu’ils l’ont fait… avec brio!