Blue Note est un formidable diptyque qui donne à voir deux visions des dernières heures de la prohibition. Celle de Jack Doyle, boxeur désabusé qui rempile pour un ultime combat dans le premier tome, et, dans ce second opus, celle de R.J., bluesman talentueux désireux de partager sa musique mais à qui il manque ce petit supplément d’âme qui rendraient ses chansons immortelles…
La Prohibition qui a vu prospérer la mafia italienne vit ses dernières heures. Un enterrement en grande pompe se prépare alors que les patrons des speakeasies, où l’on s’enivre aux accords mélancoliques de blues ou entraînant de jazz, doivent penser à leurs reconversions… ou disparaître… R.J., un prodige de la guitare débarque en ville, la guitare pleine de rêves… Il désire partager sa musique et pour cela, quoi de mieux que d’enregistrer un disque? Un chat noir le conduit au Dante's Lodge ou il décroche son premier contrat… Ce qu’il ignore, c’est qu’il y a un prix à payer et qu’il a peut-être bien vendu son âme à Vincenzo…
Le contexte historique est formidablement bien rendu bien que la ville, qui évoque New York, ne soit jamais nommée, laissant aux auteurs toute latitude pour construire le décor. De la mafia italienne et des bluesman qui avaient des intérêts communs aux bouleversements qu’allait engendrer la fin de la Prohibition, redistribuant les cartes et renversant les alliances… Dans une ville gangrénée par la corruption, des chacals sont prêts à tout pour prendre le relais et régner en maître sur la ville…
L’ombre de Robert Johnson plane bien évidemment sur ce diptyque qui, sous couvert de nous parler des dernières heures de la Prohibition, nous parle d’une musique envoûtante et mélancolique, le blues... Caractérisée par la rencontre des musiques africaines et européenne, qui a engendré cette
blue note, ce décalage d’un ½ ton tirant tantôt la gamme pentatonique vers les mode majeurs ou mineurs, pour un étrange mélange entre tristesse et joie… Mathieu Mariolle et Mickaël Bourgouin signent ici une partition impeccable, entre légende et réalité… Car R.J. va lui aussi rencontrer le diable et, sans le savoir, lui vendre son âme… A la croisée des chemins (the Crossroad Blues?), il va devoir choisir sa route, quel qu’en soit le prix… Le scénario est classique, précis et impeccablement mené, les deux tomes du diptyque formant une histoire à deux voies qui s’enrichissent et se complète de façon saisissante… Celle d’un homme du passé ayant sa gloire et sa vie derrière lui et d’un autre qui tient son destin entre les doigts et les cordes de sa guitare, en rêvant d’un avenir…
Et il y a ce dessin formidablement expressif, ce trait semi-réaliste et ces teintes qui collent parfaitement au récit et l’accompagne de la plus élégante des façons… Et il y a la musique, qui vous prend aux tripes, qui vous remue et vous bouleverse… Avec une virtuosité et une audace graphique rares, Mickaël Bourgouin donne à voir la musique de façon magistrale…
Ce second tome de Blue Note referme un diptyque magistral qui évoque le blues avec passion. L’histoire à deux voies concoctée par Mathieu Mariolle et Mickaël Bourgouin nous parle d’un monde qui s’achève, et d’un nouveau qui s’annonce… Mais il s’inscrit surtout dans la légende du blues à travers le personnage de R.J. dont l’étrange destin évoque celui de Robert Johnson qui a dit-on pactisé avec diable, rencontré une nuit, à la croisé des chemins, et lui a vendu son âme en échange de sa virtuosité. Les amateurs de blues et d’histoires fortes solidement charpentée et superbement mise en scène seront comblés par cette histoire qui (re)donne la furieuse envie d’écouter les musiques de Robert Johnson (bien sûr!), de Son House ou de Mississippi John Hurt ou Johnny Shines… une playlist toute trouvée pour accompagner la lecture de ce formidable diptyque…
(*) extrait de Crossroad Blues de Robert Leroy Johnson