Ce quatrième opus referme une formidable histoire concoctée par Fabien Nurry et superbement mise en scène par un Merwan particulièrement inspiré. Elle raconte comment deux hommes que tout oppose qui se sont rencontré dans la boue des tranchées se sont retrouvés mêlés aux évènements d’une guerre coloniale qui opposa les tribus rifaines aux armées françaises et espagnole au début des années 20…
Le Rif s’est embrasé et le Maroc tout entier pourrait basculer dans la guerre d’indépendance. Calixte de Prampéand, aristocrate et industriel parisien, et Léon Matilo membre de la pègre marseillaise ont uni leur destin dans la boue des tranchées. La paix revenue, ils sentent l’appel de l’aventure et deviennent trafiquants d’armes avant de vivre les prémices de la révolte des rifains qui se transforment en révolution indépendantiste… Calixte, converti à l’islam, devient l’un des chefs de guerre sous le nom de Khalil al Islami. Malgré leurs dissensions, Léon va, au nom de leur indéfectible amitié, revenir vers Calixte, pour combattre à ses côtés dans une guerre qui semble perdue d’avance…
Cette fresque historique, menée de main de maître par quatre auteurs talentueux, évoque des heures sombres de la république française, les prémices d’une guerre d’indépendance qui fut réprimée à coups d’armes chimiques, tel le terrifiant gaz moutarde de sinistre mémoire. On y croise des figures historiques et fictives qui se mêlent de façon inextricable pour esquisser une page d’histoire méconnue…
L’aventure qui nous est conté tient tant de l’incroyable destin de Thomas Edward Lawrence (plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie) que de la nouvelle
l’homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling ou d’
il était une fois la révolution de Sergio Leone. On retrouve un peu dans nos deux compères la truculence de Rod Steiger (alias Juan Miranda) et l’idéalisme de John H. Mallory (alias James Coburn) et la structure narrative du récit de Fabien Nurry n’est pas sans présenter quelques similitudes avec ce chef d’œuvre du western spaghetti… A la saveur des premières victoires qui donnent l’illusion que tout est possible vont succéder l’amertume et l’âpreté des défaites, avec la mort comme seule issue…
Parce que perdu d’avance, le combat de Calixte pour cet idéal de liberté, est tout à la fois beau, et noble. Le romantisme de ses idéaux évoque les vers qu’Edmond Rostand a tissé pour son Cyrano : « Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais ! Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ! Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! »…
La structure narrative du récit, régulièrement interrompu par le petit fils de Léon, conteur de l’histoire, est remarquable de maîtrise et n’est pas sans rappeler le Princess Bride de William Goldman. Le grand-père qu’est devenu Léon se laisse aller, gagné par le souvenir de l’aventure qu’il a vécu avec son ami Calixte, oubliant parfois qu’il s’adresse à un enfant… La relation qui l’unit à ce dernier est touchante, de même que le regard qu’il porte sur les évènements qu’il a vécu, dans sa jeunesse folle… Les dialogues ciselés et savamment travaillés confèrent ce qu’il faut d’authenticité à cette fresque pleine d’humanité…
Et il y a ce dessin de toute beauté réalisé à quatre mains par Merwan Chabane et Fabien Bedouel. Leurs cadrages sont incisifs et nerveux et leurs visages, tout en contrastes, sont formidablement expressifs. Ils font surgir le côté éminemment sympathique Léon à chaque case, de même que le côté inspiré et enflammé de Calixte. L’encrage si particulier confère au récit une identité graphique forte qui sert le récit de façon saisissante…
L’avenir de cette fresque historique captivante était bien sombre lorsqu’on apprit les difficultés des éditions 12Bis. Fort heureusement, avec le soutien des éditions Glénat, cette série, comme d’autre, pouvait se poursuivre dans leur giron et permettre aux lecteurs de lire cette conclusion époustouflante…
D’Or et de Sang est une formidable série qui mêle fiction et réalité avec une redoutable efficacité, levant le voile sur un pan sombre et méconnu de l’histoire de France… Un récit romantique d’aventure et d’amitié, un rêve de liberté superbement écrit et mis en image…