Dès la couverture, on comprend que Mesmo Delivery est un album graphiquement exceptionnel dont chaque planche est composé comme une illustration à part entière.

L’histoire concoctée par Rafael Grampa met en scène Sangrecc, un imitateur d’Elvis, et Rufo, un ancien boxeur, tous deux engagés pour transporter une mystérieuse cargaison pour le compte de la Mesmo Delivery… Lorsqu’ils s’arrêtent dans une petite bourgade isolée, et que Rufo accepte de combattre le champion local pour une poignée de billets, tout semble déraper et partir en vrille dans un incroyable déchaînement de violence et de sang…

Le scénario de Rafael Grampa est filiforme mais mis en scène avec une inventivité et une virtuosité qui force le respect… Il y a dans Mesmo Delivery une indéniable composante tarantinnesque dans le rythme du film et dans ce twist singulier qui immerge en quelques cases le lecteur dans l’horreur. On songe au début de Reservoir Dogs et de l’anodine discussion qui introduit le film, avant que tout s’enraille et prenne un chemin pour le moins inattendu…

Par le truchement de flashback bien conduit, on en apprend plus sur les principaux protagonistes de l’histoire, sur la façon dont ils se sont retrouvés à conduire un camion et son mystérieux chargement vers une destination inconnue… Mais que de questions restent en suspens! De la nature des commanditaires à celle de l’inquiétante entreprise de transport… Mais qu’importe! L’album n’est qu’une parenthèse qui happe le lecteur sans qu’il puisse savoir ce qui s’est passé en amont ddu récit ni ce qui se passera après lui… au lecteur de tenter d’assembler les pièces éparses, de se façonner son histoire… D’ailleurs, on parle de neuf victimes… Mais le compte n’y est pas!

On sent que l’auteur a pris son pied en écrivant et en mettant en scène cette histoire fulgurante. Il y a fort à parier qu’on entendra reparler de lui de ce côté de l’atlantique tant son talent et son génie graphique explosent à chaque planche!

Si le scénario est sobre (mais terriblement efficace!), sa mise en scène est impressionnante de maîtrise et de virtuosité. Avec son trait énergique, Rafael Grampa invente un vocabulaire graphique qui lui est propre pour mettre en place un climax saisissant. Son découpage incisif et ses cadrages ébouriffants soutiennent l’action d’incroyable façon. Ses scènes de combat superbement chorégraphiées sont tout simplement ahurissantes… Mais, illustrateur dans l’âme, son dessin fourmille littéralement de détails… Truffés de fausses vieilles publicités et de logos de marques fort bien conçus, ses planches immergent le lecteur dans ce road-movie immobile qui ne dure que l’espace d’une poignée de minutes… mais des minutes d’une incroyable densité…

Mesmo Delivery a tout du bac à sable où Rafael Grampa s’est éclaté à esquisser un univers déjanté où s’exacerbe la violence et où l’hémoglobine coule par pinte sur une trame minimaliste… Il pourrait bien être à la BD ce que Tarantino est au cinéma : un auteur bougrement doué qui a parfaitement digéré les codes du genre pour mieux les détourner… L’album trouve pleinement sa place dans l’excellent Label 619, la rencontre en Run et le travail de Grampa apparaissant comme une évidence…