Petit est un conte cruel somptueusement mis en image par un Bertrand Gatignol particulièrement inspiré et magnifiquement édité…
Petit est le fils du Roi-Ogre, peuple qui domine la chaîne alimentaire et a asservit les humains. Mais la race des ogres est en pleine déliquescence. A force d’union consanguines, chaque génération est plus petite et plus stupide que la précédente, laissant présager une extinction prochaine et la fin d’une glorieuse lignée de ceux qui sont considéré comme des dieux par les humains… Lorsque sa mère donne naissance à Petit, elle doit user de ruses pour le soustraire à son royale père qui souhaite le mettre à mort sans plus tarder au vu de sa taille ridicule… Voyant en lui le renouveau possible de la famille, elle le confie à la tante Desdée, une ogre paria qui aurait pu être reine si elle n’avait trop aimait l’art et les humains. Mais cette dernière l’élève à contre-courant des mœurs familiales, lui interdisant de consommer leur chair. Tiraillé entre son ascendance familiale et l’éducation qu’il reçoit, parviendra-t-il à trouver sa place et à assurer l’avenir de sa glorieuse lignée?
Sur fond de déterminisme familial, Hubert (à qui l’on doit les superbes
Beauté,
Miss pas touche,
Le Legs de l'Alchimiste ou encore
Jolies ténèbres) signe un conte gothique savoureux portée par une maquette pleine d’élégance. Car bien avant d’être captivé par le récit superbe et original c’est le livre en tant que tel qui attire d’emblée l’attention. La superbe et élégante couverture en relief non pelliculée est dotée d’un titre magnifiquement ouvragé qui à lui seul évoque toute la cruauté des ogres. Alternant bande dessinée et extraits de l’histoire des figures marquantes de la lignée de Petit, l’ouvrage séduit d’emblée par sa forme avant d’envoûter le lecteur par son fond.
Plongeant ses racines dans l’imagerie populaire des récits sombres et inquiétants qui ont habités nos lectures et nos cauchemars d’enfants, Hubert nous invite à découvrir l’histoire cruelle du petit dernier d’une longue lignée de personnages hauts en couleur à travers des portraits étrangement décalés. Son œuvre est un conte cruel, original et plein d’inventivité, de sensibilité et de finesse. L’album s’inscrit en cela dans la lignée des contes philosophique chers aux auteurs des Lumières. Le jeune héros va grandir entre le déterminisme parental et une sagesse ancienne et désormais révolue incarnée par Desdée, tentant tant bien que mal de trouver sa voix, entre la Raison et la Folie, dans une ambiance fin de règne ubuesque…
Le dessin de Bertrand Gatignol est en parfaite osmose avec ce récit finement ciselé. Il baigne le récit dans un univers résolument fantastique, soignant ses décors délabrés en les truffant de détails délicieusement dérangeants qui ancrent le récit dans une Renaissance fantastique. Les orgies gargantuesques des Ogres-dieux sont d’une violence et d’une cruauté inouïe pour qui prend le temps de les détailler! On songe aux gravures des maîtres du XXièmes, évocation renforcée par les illustrations qui accompagnent les textes présentant les aïeux de la famille des Ogres-Dieu… Les similitudes avec certains travaux de Gustave Doré (qui a lui-même mis en image les contes de Perrault) sont saisissantes, sans rien enlever au talent de ce dessinateur, bien au contraire! Ses visages sont formidablement expressifs et véhiculent les émotions avec une aisance déconcertante…
Avec un récit de 150 pages parfaitement maîtrisé, un graphisme somptueux, une maquette magnifique et un format atypique, Petit est l’un des albums incontournables de cette fin d’année, voire même de l’année qui s’achève… La collection Métamorphose s’enrichit avec cette perle du neuvième art d’un conte sombre et cruel plein de finesse et de beauté… Petit est un réel chef d’œuvre, atypique et envoûtant, à lire de toute urgence…