



Après près de six ans d’absence François Dermaut, immense dessinateur de bande-dessinée, revient avec une histoire plus personnelle… Délaissant le récit historique dans lequel il excellait, il nous propose avec
Rosa un récit intimiste original et captivant…
L’action se déroule dans un hameau normand au début du XXème siècle. Malgré un mariage arrangé, comme le voulait les usages de l’époque, Rosa s’est attachée à Mathieu, son mari, veuf alcoolique de 25 ans son aîné rongé par la tuberculose. Portant son ménage à bout de bras en tenant le bistrot du village, fréquenté par les rustauds, elle se réfugie dans les livres qu’elle dévore avec passion…
Mais un jour, une querelle d’ivrogne va faire basculer sa vie… Deux soiffards passablement imbibés rivalisent de vantardise et parient une forte somme sur leurs virilités respectives. Mais pour arbitrer leur querelle de coqs du village, il fallait une femme. Des noms furent proposés mais rejetés. Maîtresse de l’un ou de l’autre, elles ne sauraient être impartiales. On songe alors à avoir recours aux services d’une prostituée mais l’idée tombe à l’eau. Alors que le pari qui opposait au début deux hommes se mue en concours, Rosa se propose d’être l’arbitre impartiale de cette virile compétition…

Elle va peu à peu en édicter les règles du jeu, s’octroyant un tiers du pactole afin de pouvoir payer les soins de son mari dans un sanatorium…
C’est avec un réel plaisir que l’on retrouve le talentueux François Dermaut qui signe cette fois scénario et dessin d’un album surprenant, tout à la fois intimiste et plein de mordant et d’ironie. A la façon d’un Maupassant, il décortique avec finesse et lucidité les relations unissant les habitants de ce hameau normand dans un envoûtant huis-clos. Sa galerie de portraits, tout à la fois crédibles et réalistes, a fait l’objet d’un soin tout particulier. Chaque personnage possède une personnalité fouillée et travaillée, une trogne bien sûr, mais aussi et surtout un caractère, un langage, un vocabulaire et une diction qui lui est propre. De fait, malgré un propos décalée, le récit respire l’authenticité…
Démarrant sur un pari d’ivrogne, le récit prend une tournure délicieusement surréaliste lorsque ce dernier se mue en concours. Querelles d’égo, ambitions politiques, amour, appât du gain, chacun des protagonistes va y participer pour des raisons qui lui sont propres. Cet improbable concours va permettre à Rosa de sortir de son carcan d’épouse pratiquante, discrète, fidèle et dévoué et de s’affirmer, dans cette société résolument masculine pour prendre peu à peu et insidieusement le pouvoir sur ces hommes dont elle dévoile les travers et les faiblesses…

Côté dessin, le trait réaliste de François Dermaut fait une fois de plus merveille alors que sa mise en couleur est tout juste somptueuse. Il parvient à camper ses personnages avec une rare justesse, faisant naître l’’émotion à la pointe de ses crayons et pinceaux. Abandonnant, pour un temps au moins, ses récits épiques d’aventures historiques, il explore avec ce diptyque une veine intimiste et réaliste avec la même efficacité…
Né d’une rencontre avec Bernard Ollivier, Rosa permet à François Dermaut de nous présenter une autre facette de son immense talent. Solidement charpenté, porté par des personnages savamment travaillés, des dialogues ciselés et un dessin comme toujours superbe, le premier tome de ce diptyque nous plonge avec efficacité dans la Normandie rurale du début du XXème siècle. Mordant, ironique, réaliste et plein d’humanité, ce récit intimiste a tous les atours d’une excellente pièce de théâtre… Un petit bijou du neuvième art réalisé par un grand artiste…