Emmanuel Civiello fait partie de ces auteurs qui nous ont profondément marqué et ce dès son premier album,
Igguk, premier tome de sa somptueuse
Graine de Folie… Le voir associer ses pinceaux à la plume de Jérôme Charyn, talentueux romancier qui a travaillé avec des pointures tel Boucq, Loustal ou Denis, Muñoz ou Frezzato (pour ne citer qu’eux), et qui plus est au cœur de la collection Signé est le genre de nouvelle qui nous enthousiasme particulièrement…
Dans un château les ruines d’un château hanté par une nuée de corbeau, un moine arrivé au seuil de sa vie se propose de nous conter l’histoire de Guillaume l’Hébreu, dit Corb-Nez, qui fut et demeure son maître.
Capturé alors qu’il était en fâcheuse posture, son érudition lui vaut de devenir l’esclave de Youssef, wali de Cardona… Ce dernier avait offert l’hospitalité de son castel à la Duchesse Wilgar de Dijon qui a quitté son foyer et son mari, Guiford, roi de Bourgogne, homme violent et dépravé. Pour son malheur, Charlemagne, roi des Francs, a mandaté Corb-Noz pour négocier sa restitution afin qu’elle reçoive son juste châtiment…
Avec ce récit iconoclaste, Jérôme Charyn nous entraîne dans le Haut Moyen-Âge, alors que Charlemagne n’était encore que le Roi des Francs. Le scénariste écorne avec verve et truculence l’image de l’Empereur sage et érudit que l’on trouve encore dans certains livres d’histoire et fait apparaître le roi barbare qu’il fut une fois gratté le vernis de la civilisation.
Par le truchement du narrateur, il confère à son récit la dimension épique et poétique et l’on imagine fort bien Bernardo enjolivant les dires et les faits et les actions de son maître pour le magnifier, dans la plus pure tradition des chansons de geste… L’érudit moine n’hésite d’ailleurs pas à se donner le beau rôle dans son récit, devenant tour à tour un combattant aguerri et meneur d’homme! Outre l’humour, les dialogues incisifs et les récitatifs littéraires et de savoureux seconds rôles, la force de cette chanson de geste picturale réside dans le charisme et le caractère bien trempé de ses deux principaux protagonistes: Corb-Noz, chevalier fidèle et idéaliste prêt à tout, même à défier son roi, pour défendre l’honneur de celle qu’il aime… et la belle Wilgar, femme libre et indépendant, qui est un peu son pendant féminin…
Ce n’est sûrement pas par hasard que la structure du récit évoque celle du
Nom de la Rose de l’immense Umberto Ecco: de l’usage d’un moine acteur et narrateur fasciné par son maître en passant par cette histoire d’amour à contre-courant jusqu’au procès qui est le point d’orgue de l’histoire et s’achève sur une petite apocalypse…
Emmanuel Civiello nous livre une fois encore un travail en tous points époustouflant. Chacune de ses cases nous en met plein la vue et son usage de la couleur directe est comme de coutume parfaitement maîtrisé alors que son approche de la lumière est d’une rare virtuosité.
Son trait puissant parvient à retranscrire tant la folie furieuse des combats, que la cour d’Aix la Chapelle, la beauté troublante de Wilgar ou la cruauté et la violence de cette sombre et épique époque…
Avec Corb-Noz, Jérôme Charyn et Emmanuel Civiello nous propose un récit médiéval sublime, épique et décalée qui met en scène deux personnages charismatiques qui vont vivre une folle idylle dans un monde cruel et violent…
S’affranchissant sans vergogne de la véracité historique, écornant au passage l’image du futur Empereur Charlemagne, le scénariste s’inspire des chansons de geste médiévale pour tisser un récit entraînant et iconoclaste superbement mis en image avec la virtuosité qui caractérise l’œuvre d’Emmanuel Civiello…
Un album superbe et envoûtant chaudement recommandé par les SdI…
Ma mort sera plus douce si vous consentez à m’accorder ne fut-ce qu’un baiser.Corb-Noz