



Après avoir signé en compagnie de Laurent Galendon puis de Zidrou de petits bijoux du neuvième art (
L’envolée sauvage,
L’enfant maudit,
L’adoption ou encore
Merci), Arno Monin prête ses pinceaux aux crayons d’Aurelien Ducoudray pour un récit lorgnant clairement vers le film noir…
Monsieur Jules est un vieil homme meurtri par la vie. Par amour, il est devenu rentier pour dame. Proxénète… C’est dans ce vieil immeuble qu’il a vieilli, hanté par le fantôme de Marie qui se dévoile au fil des pages… Mais la ville a bien changé depuis que Marie est partie. A dire vrai, elle ne la reconnaîtrait plus…
Mais si le temps a fait son œuvre, Jules ne parvient toujours pas à tourner la page et vit dans son souvenir, partageant son quotidien avec Solange et Brigitte, deux fleurs de pavés un peu fanées qui le connaisse mieux que personne… et supportent ses sautes d’humeur… Par habitude ? Par amour ?
Un jour, le hasard fait échouer dans sa cour une jeune africaine gravement blessée au surin… Comme bien d’autres, elle a été happée par les réseaux de prostitution qui lui ont fait miroiter un avenir radieux, de l’autre côté de la Méditerranée… Malgré les risques qu’il se savait courrir, Monsieur Jules va décider de la prendre sous son aile… Pourquoi ? Il n’en sait foutre rien… Peut-être pour qu’elle au moins ait une chance d’échapper à son destin ?

Difficile de ne pas être d’emblée séduit par le dessin soigné d’Arnaud Monin qui retranscrit avec une rare justesse l’ambiance baignant chaque scène et l’émotion de chacun des protagonistes. Ses éclairages soignés ancrent le récit dans le film noir, un genre disparu du grand écran qui donnait pourtant à voir des personnages délicieusement torturés…
Monsieur Jules est de ceux-là. De ceux qui vous marque, profondément… Il porte en lui une blessure ancienne qui ne peut guérir. Une douleur qu’il traîne comme d’autre portent leurs croix. Il vit dans le souvenir d’une Marie qu’il a aimé éperdument… Et qu’il a perdue… Comment ? Pourquoi ? Tout cela nous sera révélé, en tant et en heure, avec sensibilité, délicatesse et retenue. Et si sa solitude s’avère tellement touchante, c’est qu’elle contraste avec l’entrain de ces deux femmes vieillissantes qui partagent sa vie. Et il y a ses hésitations à tourner la page qui s’incarnent dans ce médaillon, symbolisant sa vie passée et dont il sait devoir se défaire sans pouvoir s’y résoudre… Le rapport de Monsieur Jules avec ce bijou vient rythmer le récit et s’avère à lui seul, particulièrement bouleversant…
Ciselés et percutants, les dialogues sonnent d’autant plus vrais qu’ils sont portés par des personnages particulièrement bien écrits qui dévoilent par bribe leur part d’ombre et de lumière qui en feraient presque des êtres de chair et de sang. Les relations les unissant sont dépeintes avec une infinie pudeur, conférant tout son charme et toute sa force au récit. Aurélien Ducoudray fait une nouvelle fois montre d’une grande maîtrise narrative, chaque scène venant enrichir le récit et compléter le portrait de chacun des personnages de façon saisissante…

Le soin méticuleux apporté au découpage accentue avec une rare efficacité la dramaturgie de l’intrigue de façon particulièrement bluffante. Rares sont les albums ou le fond et la forme de rejoignent avec une telle acuité.
Aurelien Ducoudray et Arno Monin associent leurs talents pour signer un album bouleversant qui s’inscrit dans la plus pure tradition du roman noir.
Porté par une galerie de personnages attachants car profondément humains, des dialogues ciselés et un dessin sublimé par une mise en couleur somptueuse et des cadrages saisissants, Monsieur Jules met en scène un vieil homme devenu proxénète par amour, comme d’autre deviennent tapin…
On se laisse entraîner par ce récit truffé d’anecdotes qui lui confèrent ce délicieux cachet d’authenticité et c’est presque à regret qu’on referme l’album tant on s’était attaché à chacun des protagonistes…
- Combien j te dois ?
- Laisse donc ! Vu qu’t’es mon dernier client, si en plus j’te fais payer la coupe, sûr que tu r’viendras plus !!!dialogue entre Monsieur Jules et un coiffeur-barman