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Lettre d'amour sans le dire
Lettre d'amour sans le dire



Fiche descriptive

Littérature Générale

Amanda Sthers

Grasset

3 juin 2020


14€50

9782246824954

Chronique
Lettre d'amour sans le dire
Des mots sur les maux

Alice a 48 ans, c’est une femme empêchée, prisonnière d’elle-même, de ses peurs, de ses souvenir douloureux (origines modestes, native de Cambrai, séduite et abandonnée, fille-mère, chassée de chez elle, cabossée par des hommes qui l’ont toujours forcée ou ne l’ont jamais aimée). Ancienne professeur de français, elle vit dans ses rêves et dans les livres auprès de sa fille, richement mariée et qui l’a installée près d’elle, à Paris.

Tout change un beau jour lorsque, ayant fait halte dans un salon de thé, Alice est révélée à elle-même par un masseur japonais d’une délicatesse absolue qui la réconcilie avec son corps et lui fait entrevoir, soudain, la possibilité du bonheur.

Cet homme devient le centre de son existence : elle apprend le japonais, lit les classiques nippons afin de se rapprocher de lui. Enfin, par l’imaginaire, Alice vit sa première véritable histoire d’amour. Pendant une année entière, elle revient se faire masser sans jamais lui signifier ses sentiments, persuadée par quelques signes, quelques gestes infimes qu’ils sont réciproques.
Le jour où elle maitrise assez la langue pour lui dire enfin ce qu’elle ressent, l’homme a disparu...

D’où la lettre qu’elle lui adresse, qui lui parviendra peut-être, dans laquelle elle se raconte et avoue son amour. Tendre, sensuelle, cette lettre est le roman que nous avons entre les mains : l’histoire d’un éveil. Ce qu’Alice n’a pas dit, elle l’écrit magnifiquement. Prête, enfin, à vivre sa vie.
un excellent bouquin!


Des mots sur les maux
« Lettre d’amour sans le dire » : Quel beau titre ! Et quel défi aussi d’écrire en 2020, à l’heure des tweets et autres SMS un roman épistolaire composée d’une unique et longue lettre. Alors, comme « Lettre d’une inconnue » de Stephan Zweig fait partie de mes livres de chevet et que le Japon est un de mes pays de prédilection, je me suis précipitée sur ce roman d’Amanda Sthers.

Un roman épistolaire épuré
Je vais vite me débarrasser des deux seules choses qui m’ont gênée dans ma lecture, comme de petits cailloux dans ma chaussure … des « scrupules » donc ! D’abord une petite incohérence : sur la 4e de couverture, on apprend que l’héroïne a 48 ans or, dans le corps de l’œuvre celle-ci nous dit qu’elle n’a « pas quitté le Nord pendant (s)es quarante-huit premières années » mais qu’elle a suivi sa fille à Paris depuis trois ans. Elle aurait donc cinquante et un ans, en fait… je sais c’est un détail mais cela m’a agacée ! J’aime bien la cohérence … Ce qui est encore plus improbable, c’est une telle maîtrise du japonais en un an de cours - même quotidiens - seulement ! Elle pourrait à la rigueur maîtriser les deux syllabaires et quelques centaines de kanjis (idéogrammes), avoir la possibilité de déchiffrer les livres surtitrés en furigana comme les écoliers de là-bas mais de là à calligraphier deux cents pages ( elle écrit au stylo puisque Amanda Sthers insiste sur les conditions physiques de cette écriture en évoquant le papier, les cartouches que l’on change etc…) et composer des haïkus … D’ailleurs l’incipit ne souligne-t-il pas « Je vous écris cette lettre car nous n’avons jamais pu nous dire les choses avec des mots. Je ne parlais pas votre langue et MAINTENANT QUE J’EN AI APPRIS LES RUDIMENTS, vous avez quitté la ville » ?

Mais c’est de la fiction alors, on oublie bien vite ces quelques détails et on se laisse embarquer. La romancière, tout comme son héroïne, ne s’est jamais rendue au Japon et pourtant elle en parle si bien … dans une écriture toute en retenue et comme mimétique de la délicatesse de ce pays. Le style de ce livre, c’est son point fort : la langue est ciselée et pudique à la fois. Le portrait de l’héroïne et l’évolution de cet amour peut -être fantasmé et unilatéral qui sait ( on retrouve là l’ambiguïté présente dans un autre roman épistolaire célèbre « Lettres de la religieuse portugaise « de Guilleragues) sont magnifiquement dressés par petites touches…

Une renaissance
On fait ainsi connaissance avec Alice Cendres qui, à l’aube de la cinquantaine, apprend de la fille qu’elle a eu très jeune qu’elle va être grand-mère. Vêtue d’un « pantalon noir un peu trop court et un col roulé gris . Rien qui vaille la peine de s’en souvenir » ; elle se sent transparente et sans âge : « je me comportais comme une vieille depuis tant d’années qu’on me voyait ainsi » ; elle a enfin «moins eu l'impression de vivre (s)a vie que d'avoir été vécue par elle ». Alice n’a pas connu l’amour sauf dans les livres. Elle a toujours eu l’impression de ne pas être à sa place : tant au sein de sa famille dans le Nord dont elle s’est coupée en devenant une « intellectuelle » professeur de français, qu’à Paris auprès de sa fille qui a fait un riche mariage et qu’elle encombre un peu en détonnant dans son nouveau milieu, ou que dans la société puisqu’en étant une très jeune retraitée elle est marginalisée dans ce monde actif.

Et puis un jour gris, un jour de pluie, un jour où elle se réfugie dans un salon de thé tout bascule. Sur un malentendu, elle va se faire masser par un Japonais qui, par de simples effleurements sous le tissu de sa tenue de shiatsu, va la réveiller de sa longue anesthésie (dont on apprendra la raison dans sa lettre confession) . Alice renait à elle-même et à la vie : la propriétaire ne la prend-elle pas pour une madame Renoir (nom d’une cliente qui ne viendra jamais) la dotant ainsi d’un nouveau patronyme qui évoque le peintre impressionniste, maître des couleurs et de la sensualité ? Dès son entrée dans ce lieu nommé « Ukiyo », mot qui « veut dire profiter de l’instant, hors du déroulement de la vie, comme une bulle de joie[et] ordonne de savourer le moment, détaché de nos préoccupations à venir et du poids de notre passé », elle retrouve la couleur et des couleurs : celle du thé qu’on lui sert un « futsumuhi sencha aux feuilles d'un vert intense qui donne un breuvage aux couleurs du soleil qu'on regarde à travers les herbes hautes quand on est adolescent et qu'on se couche dans les prés[…] : komorebi. Cette teinte qui se diffuse dans le vent et à travers laquelle on voit les choses plus belles ». Elle réapprend les sensations aussi : celles du thé brûlant dans sa gorge, les frissons sous les mains d’Akifumi... Du gris, elle passe à l’ensoleillé et se délivre de son passé en revenant chaque semaine se faire masser. Elle s’éprend du masseur et trouve grâce à lui son « ikigai »(ce mot qui signifie « raison d’être » ou « joie de vivre » aurait toute sa place dans le roman)...

Dans cette œuvre superbe, Amanda Sthers dresse le portrait de deux solitudes qui se rencontrent .. ou pas. Elle décrit une Bovary moderne qui a « toujours préféré le confort du fantasme aux risques de la vie » et s’interroge également sur la place de la femme dans notre monde actuel , mise au rebut dès qu’elle n’est plus en âge de procréer, celle dont le désir pur gêne. On n’ira pas jusqu’à qualifier l’œuvre de féministe mais elle est extrêmement féminine et destinée … à tous !

Dans ce roman épistolaire composé d’une seule et unique lettre, Amanda Sthers, par le biais de son héroïne, entre deux âges, entre deux eaux , s’interroge sur l’amour, la littérature, la place de la femme de cinquante ans dans une société qui prône le jeunisme et le rapport à l’autre en général.

Elle raconte un Japon fantasmé délicat à travers un style épuré paradoxalement sensuel et pudique. Un livre court et profond qui réchauffe et illumine !


J'ai peur d'avoir tout imaginé, de n'être pour vous qu'une personne parmi tant d'autres.
Je vous écris toutes ces émotions, cette intimité.
Ne suis-je pas ridicule ?
Dois-je poster cette lettre ?
Je ne sais si vous devez la lire mais je n'ai d'autres choix que de l'écrire. Sinon je vais m'étouffer de tous ces mots retenus.

bd.otaku



Inspiration jeux de rôle

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