Abel est un vieil homme qui vit dans une petite cabane vétuste, entre l’océan et la montagne, avec son chien Ned comme seul compagnon… Rongé par les remords, il a bien pensé à en finir mais même l’océan n’a pas voulu de lui…
Vétéran de la guerre Sécession, le souvenir de la tristement célèbre bataille de la Wilderness revient sans cesse le hanter, de même que les fantômes de sa femme et de son unique enfant depuis longtemps disparus… Un jour, il décide de reprendre la route, accompagné de son fidèle chien… Mais la violence des hommes le rattrape et il est laissé pour mort par un homme au visage déchiré et un indien qui lui dérobent son chien… A bout de force, il est pourtant bien décidé à retrouver Ned…
L’éclectique et talentueux Antoine Ozanam se lance dans l’adaptation du chef d’œuvre de Lance Weller, romancier américain dont les livres hantent durablement le lecteur… L’histoire est sobre et tient en peu de mots. Mais il se dégage une force peu commune de sa prose qui nous narre l’histoire d’un vieil homme qui reprend la route pour se confronter une dernières fois aux fantômes de son passé, en quête d’oubli ou de rédemption…
Abel est l’un de ces soldats anonymes qui a survécu à la guerre et dont le destin traverse celui d’une nation en devenir. Au fil de ses pérégrinations et de ses rencontres heureuses ou inopportunes, ses souvenirs douloureux remontent à la surface, balisant son chemin et partageant sa peine et sa douleur avec le lecteur, de façon particulièrement saisissante. Alors que sa dernière heure approche, il prend conscience de la futilité de ces combats, regrettant presque d’avoir endossé l’uniforme sudiste plutôt que celui des anti-esclavagistes… Ses repères deviennent brumeux et ses dernières certitudes s’effondrent…
Comment transposer en bande dessinée ce roman puissant, ses descriptions saisissantes d’une nature sauvage formidablement retranscrite par l’auteur qui ne se contente pas de la décrire mais qui nous la fait ressentir au plus profond de notre être, esquissant par contraste l’horreur de la nature humaine… Et comment saisir les tourments profondément humains qui assaille le vieil Abel alors que sa vie achève de s’écouler ou ces étranges mais touchants dialogues avec son fidèle Ned ? Comment faire faire ressentir les horreurs de la guerres, la douleur de la perte d’un enfant ou la souffrance d’une épouse qui bascule inexorablement dans la folie ? Une gageure assurément…
Et il fallait toute l’inconscience et le talent d’Antoine Ozanam pour oser s’y attaquer ! Mais, à l’instar d’Abel, on n’entreprend pas un tel voyage seul et l’auteur s’associe à l’impressionnant Bandini pour mener à terme sa folle aventure. Et le résultat est tout à la fois somptueux et profondément bouleversant.
Il suffit de voir la magnifique couverture de l’album pour prendre la mesure du talent de ce dessinateur, avec ce quatrième de couverture qui lui répond, suggérant que l’homme qui marche seul avec son chien dans les sentiers sinueux d’une forêt et poursuivi par son passé à qu’il cherche à échapper… Bandini donne vie à une nature foisonnante, tout à la fois grandiose, sauvage et inquiétante, voir dangereuse… Mais jamais autant que peut l’être l’homme… Texte et dessins se répondent et s’enrichissent de façon confondante, faisant naître chez le lecteur une foule d’émotions troublantes et violentes avec une facilité désarmante… On passe sans heurt d’une époque à une autre, les souvenirs d’Abel étant subtilement représentés par des cases en noir et blanc, sans la superbe couleur qui subliment les scènes contemporaines et pose avec art cette ambiance si particulière qui baigne le récit…
Il fallait le talent d’Ozanam et de Bandini pour avoir l’audace de se lancer dans l’adaptation du chef d’œuvre de Lance Weller, opposant la beauté de la nature à la cruauté de l’homme…
A l’instar du roman éponyme, le destin bouleversant d’Abel hantera longtemps le lecteur… Arrivé au crépuscule de sa vie, le vieil homme va entreprendre un ultime voyage, pour se confronter, une dernière fois, aux fantômes de son passé, aux souvenirs douloureux de la Guerre de Sécession dont son âme porte encore les stigmates, à ceux de sa femme et de son unique enfant depuis longtemps disparus… Au fil des pages, on comprend son désarroi et on prend la mesure de sa détresse, partageant sa solitude et son amertume… Avec lui on se relève, à chacune de ses chutes, jusqu’à la dernière dont on ne sortira pas indemne…
Wilderness est une magistrale adaptation d’un roman superbe et bouleversant qui nous conte la tragique renaissance d’un homme qui sait qu’il vit ses derniers jours dans cette vallée de larmes…
Tu sais, avant la bataille de Wilderness, j’étais plutôt connu pour être un mec chanceux… Y’en a même qui chargeait près de moi en espérant profiter de ma chance pour s’en tirer… Les cons… Huntley Foster… Gully Coleman… David Abernathy… dialogue entre Abel et Ned