Poursuivant son implacable vengeance, Emily fait route vers l’Ohio en compagnie de la petite Claire, abandonnant le Texas derrière elle avec dans son sillage les hommes de Pinkerton et dans son ombre le mystérieux indien qui lui sert d’ange gardien… Bientôt, elles sont rejointes par Susan, ancienne esclave dont le mari vient été lynché par des hommes du Ku Klux Klan et qui a été sauvé par l’intervention de la jeune femme…
Leurs pas les mènent à Oil Town où Emily a postulé pour comme institutrice… Elle y découvre une bourgade crasseuse érigée de puits de pétrole où les ouvriers risquent chaque jour leur vie pour engraisser un patron tyrannique qui n’est autre que le prochain nom sur le liste de la Venin…
Le western a plus que jamais le vent en poupe grâce à une poignée d’auteurs talentueux qui le remettent avec art et inventivité au goût du jour : Xavier Dorison et Ralph Meyer avec leur
Undertaker, le gang des Frères Maffre avec
Stern, Tiburce Oger avec son
Buffalo Runner et son
Ghost Kid, Jérôme Felix et Paul Gastine avec leur
Jusqu'au dernier et, bien évidemment, Laurent Astier avec sa
Venin, western social et féministe qui donne le premier rôle à une femme lancée dans une odyssée vengeresse façon Uma Thurman dans Kill Bill…
L’idée de faire un western a longtemps trotté dans la tête de cet auteur qui s’est essayé à de nombreux genres avec le talent et le succès que l’on sait… Pour se faire, il s’amuse à bousculer les clichés, à jouer avec les codes du genre et exploser les stéréotypes pour nous conter un récit résolument moderne porté par une femme déterminée à se venger… Difficile de ne pas se laisser entraîner par le rythme haletant de son histoire, entrecoupé de flashbacks venant préciser le passé de la jeune femme et donnant, au fil des pages, les clefs pour com-prendre sa personnalité tourmentée et la rage qui l’habite…
Mais l’auteur s’amuse à prendre le lecteur à contre-pied par le truchement d’un twist impromptu qui allait fortement ébranler Emily et faire vaciller ses certitudes et celles du lecteur… Mais ne comptez pas sur nous pour vous en dire davantage pour ne pas vous gâcher le plaisir de découvrir cette histoire joliment troussée signée par un auteur très inspiré qui met en lumière les zones d’ombre de l’histoire des U.S.A. qui étendent leurs ténèbres jusque dans l’Amérique de Trump.
Mais si le scénario s’avère rondement mené, c’est aussi parce qu’il est mis en scène avec une redoutable efficacité. Oscil-lant entre classicisme et modernité, son découpage et ses cadrages virtuoses lorgnent claire-ment du côté du septième art, alternant avec inventivité plans larges et plans rapprochés qui suggèrent, avec finesse, d’elliptiques mouvements de caméras… Pour ce troisième tome, l’auteur confie les pinceaux à son grand frère, Stefan Astier, lui-même scénariste, dessinateur et coloriste, avec qui il avait déjà signé
Aven et
Hollywood 1910. Et c’est peu dire que le résultat s’avère particulièrement convainquant !
A l’instar des deux premiers tomes, la magnifique couverture interpelle autant qu’elle intrigue, titillant d’emblée la curiosité du lecteur.
L’album est complété par le désormais traditionnel journal intime d’Emily. Enrichit de photos, il enrichit joliment l’histoire qui vient de nous être contée et donne une appréciable densité à l’attachante héroïne…
Porté par une narration graphique et scénaristique parfaitement maîtrisée, ce troisième tome de la Venin remplit toute ses promesses…
Laurent Astier continue de nous étonner et de nous envoûter avec ce western social et féministe où une jeune femme poursuit une odyssée vengeresse, semant la mort sur son passage mais n’hésitant jamais à tendre la main aux victimes d’un système injuste qui oppresse et opprime les faibles… Mais ses certitudes (et celles du lecteur !) vont être ébranlées par de fracassantes révélations qui vont faire vaciller sa raison…
Rejoint par son frère à la couleur, l’auteur poursuit avec brio son implacable histoire qui, sous des allures de récit d’aventure solidement charpenté, aborde des thématiques qui sont, hélas, toujours d’actualité…
- La guitare, c’est un souvenir de ton mari ?
- Non, c’est la mienne. Grand’Pa, l’ancien de la plantation m’a appris à jouer quand j’étais môme. D’ailleurs, pourquoi ç a devrait être celle de mon mari ? Les femmes n’auraient pas le droit de jouer d’un instrument ? Etrange question, surtout venant d’une femme ?
- Désolée ! Il faut croire que plusieurs siècles de patriarcat nous ont bien lavé la tête. Les préjugés ont la vie dure.dialogue entre Emily et Susane
(*) En référence au titre des Pogues