Yorkshire, 1848. L’énigmatique Docteur Moreau invite dans son manoir des personnages illustres : Mary Shelley, autrice du fameux Frankenstein ou le Prométhée moderne, Charles Darwin, naturaliste dont les travaux allaient bouleverser notre vision du monde, Emily Brontë, autrice des Hauts de Hurlevent et Richard Francis Burton, personnage éminemment romanesque qui fut, entre autre, officier, érudit, linguiste et explorateur…
Moreau souhaite leur faire part des résultats d’expériences scientifiques à même de destituer Dieu… Mais derrière le masque se cache un personnage sulfureux qui, loin de convaincre ses illustres invités, va déclencher leur colère par ses recherches contre nature dont l’aboutissement est intimement lié à chacun de ses invités…
Avant même de se plonger dans la lecture de ce second opus de la trilogie
Maudits-sois-tu, c’est une fois encore la somptueuse couverture de l’album qui fascine et captive le lecteur… Sublimement réalisée, l’illustration de l’incroyable Carlos Puerta se poursuit sur le quatrième de couverture, offrant un visuel saisissant du sinistre laboratoire du Docteur Moreau qui évoque celui du Docteur Frankenstein…
Le travail graphique du dessinateur espagnol est tout juste bluffant. Certains pourront être gênés par l’aspect parfois statique de son dessin mais il s’en dégage une telle atmosphère qu’une fois l’œil habitué, on est littéralement sous le charme malsain et inquiétant de son trait et de ses couleurs tout à la fois sombres et lumineuses. Son traitement de la lumière force l’admiration et ses cadrages ciselés, lorgnant avec art du côté du septième art, s’avèrent particulièrement dérangeants… Difficile de ne pas être subjugué par le soin apporté aux décors et à sa façon si particulière de mettre en scène les personnages de ce drame fantastiques à qui l’artiste donne des postures théâtrales pour en accentuer la dramaturgie… Le dessinateur du
Baron Rouge ou de l’hélas abandonnée
Adamson (tous deux scénarisés par Pierre Veys) n’a de loin pas fini de nous étonner…
Mais un dessin, aussi somptueux soit-il, n’est rien sans une histoire solidement charpentée… Et charpenté, le scénario élaboré par Philippe Pelaez l’est assurément… Son audacieuse idée de raconter cette histoire à rebours lui donne un relief particulier, rendant la lecture de ce second opus plus captivante encore…
Moreau éclaire, certes d’une lumière ténébreuse, certains éléments laissés volontairement dans l’ombre dans le premier tome de la série… Les différentes pièces de son savoureux puzzle scénaristique s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres et l’ultime tome sera la clef de voûte de son récit et lèvera sans nul doute le voile sur les racines de cette histoire complexe et subtilement alambiquée…
Après un premier tome se déroulant à une époque contemporaine, nous voilà entraîné au milieu du XIXe siècle, dans l’Angleterre de la Reine Victoria, pour y rencontrer des personnages qui ont marqué leur temps de leur empreinte, chacun dans leur domaine, et dont les recherches, la vie ou les écrits semblent inextricablement liés…
Quel étrange et envoûtant récit que ce Maudit sois-tu écrit par le talentueux Philippe Pelaez…
Construit à rebours, la série propose un récit alambiqué dont chaque nouvel album éclaire des éléments laissés volontairement dans l’ombre par le précédent… Au fil des pages, les pièces du puzzle narratif imaginé par le scénariste s’imbriquent parfaitement les unes dans les autres pour composer un drame captivant mêlant personnages historiques et éléments empruntés à la littérature fantastique du XIXe siècle…
Entraînant les personnages et le lecteur à la frontière étrangement ténue séparant le réel et le fantastique, l’ambiance malsaine et oppressante est savamment distillée par le formidable travail graphique de l’impressionnant Carlos Puerta… L’artiste espagnol compose des planches de toute beauté, soignant tout particulièrement la lumière, et met en scène des personnages aux postures délicieusement théâtrale, accentuant par ce biais la dramaturgie de l’histoire…
Il nous tarde de lire le troisième et dernier opus de la série qui en sera la clef de voûte et dévoilera les racines du mal…
- Vous êtes comme moi Charles Darwin… Vous êtes à la démesure des avancées de ce siècle… Et je sens poindre en vous une force intellectuelle inégalée, qui n’a jamais été et ne sera plus…
- Voyons docteur, je…
- Non, monsieur Darwin !! Pas de fausse modestie, car nos aspirations ultimes sont les même à vous et à moi… Nous voulons disqualifier Dieu !!!dialogue entre le Docteur Moreau et Charles Darwin