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Blanc autour
Blanc autour



Fiche descriptive

Roman Graphique

Wilfrid Lupano

Stéphane Fert

Stéphane Fert

Dargaud

15 Janvier 2021


19€99

9782505082460

Chronique

1832, Canterbury. Dans cette petite ville du Connecticut, l'institutrice Prudence Crandall s'occupe d'une école pour filles. Un jour, elle accueille dans sa classe une jeune noire, Sarah. La population blanche locale voit immédiatement cette " exception " comme une menace

Même si l'esclavage n'est plus pratiqué dans la plupart des Etats du Nord, l'Amérique blanche reste hantée par le spectre de Nat Turner : un an plus tôt, en Virginie, cet esclave noir qui savait lire et écrire a pris la tête d'une révolte sanglante. Pour les habitants de Canterbury, instruction rime désormais avec insurrection. Ils menacent de retirer leurs filles de l'école si la jeune Sarah reste admise.

Prudence Crandall les prend au mot et l'école devient la première école pour jeunes filles noires des Etats-Unis, trente ans avant l'abolition de l'esclavage. Nassées au coeur d'une communauté ultra-hostile, quelques jeunes filles noires venues d'un peu partout pour étudier vont prendre conscience malgré elles du danger qu'elles incarnent et de la haine qu'elles suscitent dès lors qu'elles ont le culot de vouloir s'élever au-dessus de leur condition.

La contre-attaque de la bonne société sera menée par le juge Judson, qui portera l'affaire devant les tribunaux du Connecticut. Prudence Crandall, accusée d'avoir violé la loi, sera emprisonnée...
un excellent album!


Black girls matter
Blanc autour, planche de l'album © Dargaud / Fert / Lupano1832, à Canterbury, dans le Connecticut abolitionniste, Prudence Crandall est la directrice d’une école de jeunes filles. Elle accueille pour la première fois une élève noire dans sa classe, la jeune Sarah. Mais cette initiative met en émoi la petite ville blanche qui crie au scandale. En effet, une révolte sanglante menée en Virginie par un esclave lettré appelé Nat Turner a traumatisé l’Amérique un an plus tôt.

Les notables locaux, le juge Judson en tête, réclament le départ de l’enfant car pour eux l’instruction des noirs rime désormais avec insurrection. Ils menacent de retirer leurs filles de l’école si la jeune noire n’en est pas exclue. L’institutrice décide alors, en réaction à l’hostilité, de réserver son école aux jeunes filles afro-américaines et crée la « Canterbury Femal Boarding school »…


Aurait-on pu imaginer qu’une école pour jeunes filles noires ait existé dans l’Amérique profonde trente ans avant l’abolition de l’esclavage ?

Blanc autour, planche de l'album © Dargaud / Fert / LupanoTel fut pourtant le défi lancé par l’institutrice Prudence Crandall à la bourgeoisie bien-pensante du Connecticut. Cette affaire méconnue, portée devant les tribunaux à l’époque, inspire à Wilfrid Lupano et Stéphane Fert leur nouvel album : « Blanc autour » paru chez Dargaud. Un album graphique qui met en avant le courage de cette institutrice et de ses élèves qui militeront pour le droit d’apprendre.

Révolution, révolution
Les thèmes du dynamisme et de la sororité sont d’emblée mis en avant par la couverture : on y voit un groupe constitué de jeunes femmes noires ou métisses saisies de profil et bien individualisées par leurs gabarits divers et variés, se dirigeant vers un endroit qui reste hors champ. Elles semblent déterminées et les couleurs et les décors marquent un renouveau. D’emblée, elles paraissent en quête de liberté.

Ce thème est cher aux deux artistes. Wilfrid Lupano n’est, en effet, pas que l’auteur du « Loup en slip » et des « Vieux fourneaux ». Il a écrit des albums « historiques » tels « Les Communardes » et « le Singe de Hartepool » ; il réorchestre ici ce qui parcourait ces précédents albums : le féminisme et la critique des préjugés. Stéphane Fert, quant à lui, a mis en scène dans ses deux contes, « Morgane » et « Peau des Mille bêtes », deux héroïnes luttant pour leur indépendance dans un monde dominé par des hommes. Après avoir raillé dans « Quand le cirque est venu » les dictateurs de tout poil, ils s’associent cette fois pour dénoncer l’hégémonie du pouvoir des WASP qui entrave Prudence et ses pensionnaires comme le résume de façon frappante le titre « Blanc autour » raccourci énigmatique et percutant du titre originellement choisi « le pouvoir blanc autour ».

Blanc autour, planche de l'album © Dargaud / Fert / LupanoMême si le Connecticut ne pratique plus l’esclavage, les préjugés y ont la vie dure : on n’y voit déjà pas trop l’intérêt d’enseigner aux jeunes filles blanches ; alors, l’instruction prodiguée aux fillettes noires est perçue comme une hérésie ! Le scénariste décrit le quotidien de l’école tout en rapportant les différentes décisions de justice prises par les tribunaux. Il n’édulcore nullement la dureté, la violence et même la haine auxquelles l’institutrice et ses élèves ont été confrontées.

Un dessin décalé et coloré
Le travail sur la couleur de Stéphane Fert apparaît alors comme décalé : il ajoute une douceur au récit qui tranche avec la dureté du propos. Il a commencé dans l’animation et on perçoit dans son dessin l’influence du style tout en rondeurs de Mary Blair la dessinatrice des Studios Disney qui œuvra sur « Cendrillon », « Alice » et « Peter Pan » dans les années 1950. Il y a du Pimprenelle, Flora et Pâquerette également dans les silhouettes pastel des jeunes filles en aplats doux libérés de contours. Tout cela concourt à provoquer l’empathie du lecteur.

Blanc autour, planche de l'album © Dargaud / Fert / LupanoA contrario, Fert manie la caricature lorsqu’il met en scène les notables qui’ s’opposent à l’initiative de Prudence : le juge Judson est comme sanglé dans ses principes et son col amidonné et les trois notables qui viennent raisonner Prudence sont décrédibilisés par leur faciès : nez énorme en forme de courgette et disproportionné par rapport à un tout petit corps, silhouette dégingandée voire clownesque. Reprenant les codes de l’illustration enfantine, le dessin oriente le jugement.

Une absence de manichéisme
Il ne faudrait pas y voir cependant une forme de manichéisme. Si c’est l’histoire de Prudence Crandall (et c’est d’ailleurs le nom que porte le musée construit sur les restes de l’école) les auteurs ont choisi de ne pas tomber dans l’écueil du « white saver » : Prudence est une héroïne parmi d’autres. Sarah, Eliza, Maria et les autres sont tout aussi importantes. Avec leurs différences, leurs mésententes parfois, elles vont trouver une force dans le collectif.

Fert et Lupano abordent aussi de façon délicate et nuancée le thème de la spiritualité grâce notamment aux personnages de Miriam la sorcière blanche, Jeruska et Eliza et ne tranchent jamais pour l’une ou l’autre, la seule voie qui est clairement blâmée est celle du prédicateur rigoriste qui appelle à la haine : façon pour Lupano de dénoncer comme dans « Alim le tanneur » les extrémismes religieux ! L’album met enfin en avant deux façons de réagir : à travers l’histoire de Nat Turner rapportée par le jeune Sauvage, on perçoit le désespoir qui étreint une partie de la population et le choix de la violence ; à travers l’attitude de Prudence et de ses élèves c’est la voie pacifiste qui est choisie. Là encore, aucune démarche n’est valorisée par rapport à l’autre. En effet le personnage de Sauvage permet de mettre en question la pertinence du combat de Prudence et de ses élèves : l’enfant souligne en effet combien le monde est façonné et pensé par les blancs et combien les élèves s’obstinent à rentrer dans des codes qui ne sont pas les leurs…
Blanc autour, planche de l'album © Dargaud / Fert / Lupano
Ce roman graphique suscite donc des questions mais laisse au lecteur le choix de ses réponses. Refusant le dogmatisme, il prodigue néanmoins une leçon d’espoir grâce au dossier de postface qui montre comment les élèves ont poursuivi le combat de Prudence en devenant des membres du « railway » et surtout en enseignant.


Donc ce roman graphique n’est pas une simple relation d’une anecdote historique mais bien un miroir qui permet de réfléchir aussi sur notre société : l’album nous ramène à des thèmes d’actualité : la lutte des femmes pour leurs droits et leur visibilité dans la société, les violences policières à l’encontre des minorités, le rôle de l’éducation et la remise en question de celle-ci, l’acceptation de l’autre. « Blanc autour » est donc très actuel ! Cet album rappelle dans un contexte fort particulier (il est sorti peu de temps après l’assassinat de Samuel Paty) combien l’instruction est importante pour vaincre les préjugés et comment les plus grands changements sont souvent nés de petites graines plantées dans une salle de classe.
Blanc autour, planche de l'album © Dargaud / Fert / Lupano
Dans leur nouvelle collaboration après l’album jeunesse « Quand le cirque est venu », Wilfrid Lupano et Stephane Fert s’intéressent à la création de la première école pour jeunes filles noires trente ans avant l’abolition de l’esclavage.

Cet ouvrage « historique » leur permet de réorchestrer des thèmes qui leur sont chers : la quête de la liberté, la lutte contre les préjugés et l’obscurantisme, la place de la femme dans la société. Le dessin participe à ce dessein même s’il paraît au départ décalé par ses couleurs pastel et ses rondeurs proches d’une Mary Blair des studios Disney. Les auteurs refusent cependant tout dogmatisme et laissent entendre différentes voix contradictoires. Libre au lecteur de se faire une opinion.

Ce magnifique album rappelle en outre, et il en est besoin par les temps qui courent, l’importance de l’éducation et rend hommage aux enseignants de jadis et naguère qui peuvent se muer parfois en véritables héros.


- Il n'y a que ça, ici, des journées éprouvantes.
- De quel "ici" parles-tu ?
- Cette école.
- Fais ta valise et fonce sans tarder là où les journées sont paisibles. Et quand tu seras arrivée, envoie-nous une carte.
- Quoi ?
- Elle veut dire, je crois, qu'il n'existe pas un "ailleurs" qui soit paisible, pour nous.
- Dès lors que nous voulons nous instruire, en tout cas. Aucune journée n'est "éprouvante", dans cette école. C'est le monde tout autour qui est une épreuve.Eliza, Jeruska et Dorothy, p.60


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Inspiration jeux de rôle

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