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Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street
Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street



Fiche descriptive

Roman Graphique

José-Luis Munuera (d'après la nouvelle de Herman Melville)

José-Luis Munuera

José-Luis Munuera

Dargaud

19 Février 2021


15€99

9782505086185

Chronique
Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street
Au pied du mur

New York City, quartier de Wall Street. Un jeune homme est engagé dans une étude de notaire. Il s'appelle Bartleby. Son rôle consiste à copier des actes juridiques.

Les premiers temps, Bartleby se montre irréprochable. Consciencieux, efficace, infatigable, il abat un travail colossal, le jour comme la nuit, sans jamais se plaindre. Son énergie est contagieuse. Elle pousse ses collègues, pourtant volontiers frondeurs, à donner le meilleur d'eux-mêmes.

Un jour, la belle machine se dérègle. Lorsque le patron de l'étude lui confie un travail, Bartleby refuse de s'exécuter. Poliment, mais fermement. I would prefer not, lui répond-il. Soit, en français : je préfèrerais ne pas.

Désormais, Bartleby cessera d'obéir aux ordres, en se murant dans ces quelques mots qu'il prononce comme un mantra. Je préfèrerais ne pas. Non seulement il cesse de travailler, mais il refuse de quitter les lieux...
un excellent album!


Au pied du mur
Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street, planche de l'album © Dargaud / Munuera / MelvilleMoins célèbre que son roman « Moby Dick », la nouvelle de Melville : « Bartleby le scribe » publiée en 1853 a pourtant fait couler beaucoup d’encre. Sous-titrée « Histoire de Wall street », elle nous projette au cœur du nouveau quartier d’affaires représentatif du monde industriel en devenir.

Un notaire débordé engage un jeune scribe. Il copie des actes pour la plus grande satisfaction de son patron jusqu’au jour où il refuse d’accomplir une tâche en déclarant « je préférerais pas » et cela ira crescendo. Il préfère ne pas relire, puis ne plus écrire, puis ne plus quitter son bureau. Cette phrase et ce comportement ont suscité de multiples interprétations et d’innombrables adaptations au théâtre, au cinéma et même en musique - puisque le groupe de François Bégaudeau « Zabriskie Point » lui avait consacré un morceau - ont été effectuées. Il fallait une bonne dose de courage - voire d’inconscience ! - pour s’attaquer à l’adaptation en bande dessinée de ce court récit. Et au casting, on n’aurait pas forcément vu José Luis Munuera connu pour ses reprises humoristiques des « Tuniques bleues ». On aurait eu tort !


Astuces narratives
L’auteur fait preuve d’un grand sens du découpage et de la mise en scène. Dans la nouvelle, il n’y a pas du tout d’action, il y a seulement quatre personnages et toute la narration est assumée par le biais du narrateur, patron de l’étude lieu principal du récit. Ceci était peu transposable en BD. Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street, planche de l'album © Dargaud / Munuera / MelvilleMunuera a donc choisi de « s’inspirer des séries TV » et d’utiliser le « walk and talk » : quand les acteurs déambulent en parlant. Le récit s’aère donc et on a de nombreuses scènes en extérieur. Ensuite, il a pris le parti d’adjoindre des interlocuteurs au narrateur principal qui permettent d’incarner ses dilemmes et de débattre : l’ami est celui qui prône le conformisme social, la femme de ménage permet de souligner le manque d’autorité du notaire et le sermon du prêtre incite, lui à la compassion.


Mélanges graphiques
Côté graphique, c’est une pure splendeur. Ses personnages sont caricaturés à la Daumier bedonnants, rubiconds, hautains, rehaussés de noir et posés sur de somptueux décors aquarellés très travaillés. Les lavis du coloriste Seydas tantôt mordorés et tantôt bleutés confèrent une sorte d’irréalité aux scènes de rue noyées dans la brume ou sous la pluie. On notera d’ailleurs un anachronisme certainement voulu par l’auteur : il nous montre au fil des pérégrinations du notaire des gratte-ciels hérissés et menaçants. Or, ceux-ci apparaitront un demi-siècle après la publication de la nouvelle. Munuera fait donc de ses décors un symbole de l’oppression : les gratte ciels de la « rue du Mur » sont un écho au mur qui bouche la vue devant le pupitre de Bartelby.


Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street, planche de l'album © Dargaud / Munuera / Melville
Une vision romantique
Il distingue le héros en le traitant dans un autre style que le reste de ses personnages : il le dote de grands yeux sombres, d’une peau diaphane et d’une jeunesse qui tranche avec le reste de la distribution. Il en fait presque un romantique Sur la couverture, il est debout et tourne le dos aux lecteurs. Il est face à son pupitre et semble regarder devant lui un mur invisible. Le dessinateur a « fondu » cette image sur un arrière-plan de foule affairée qui ne lui prête pas la moindre attention. D’emblée, avec cette image forte, se distinguent alors la masse et l’individu. Ceux qui suivent le flot et celui qui s’oppose.

Le bédéiste choisit également de modifier le texte original en supprimant la fin du récit : dans la nouvelle, Melville revient sur le passé de Bartelby et propose une amorce d’explication psychologique à son acte. Dans la bande dessinée le mystère reste entier. Munuera fait du héros « une sorte de prolongement de Martin Luther King et Gandhi » qui refuse la violence et prône la résistance passive voire la désobéissance civile. Il dote ainsi la nouvelle d’une grande modernité et nous enjoint à ne pas être « another brick in the wall »…
Bartleby le scribe, une histoire de Wall Street, planche de l'album © Dargaud / Munuera / Melville
Cette adaptation relève haut la main le défi initial et par ses choix narratifs et graphiques redonne tout son lustre à l’œuvre originale en en soulignant la troublante modernité !


Quand le dessinateur des « Tuniques bleues » s’attaque à Melville on peut a priori être surpris. Mais José Luis Munuera nous propose une très belle relecture de la nouvelle en y adjoignant déambulations en extérieur et interlocuteurs pittoresques qui apportent dynamisme et fluidité.

Il nous montre un New York affairé et déjà moderne dans des pages en couleur directe de toute beauté aux décors finement travaillés. Il fait du héros un romantique qui prône la désobéissance civile. Le tout donne une adaptation en bande dessinée aussi riche que l’œuvre source !


La plupart des hommes servent l’état non pas en tant qu’humains mais comme des machines avec leurs corps. Ils se placent eux-mêmes au même niveau que le bois, la terre et les pierres. Ce sont les bons citoyens.page 8

bd.otaku



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