Depuis qu’il est enfant, David est devenu le dépositaire du passé de ses deux grands-pères.

L’un et l’autre ont dû fuir l’Espagne franquiste après s’être opposé au régime et tous deux furent internés dans les camps de réfugiés d’Argelès-sur-mer. Son grand-père maternel, Antonio Soto de Torrrado, participa à la campagne de France et fut fait prisonnier à Dunkerque pour d’être enfermé quatre longues années dans le sinistre camp de concentration de Mauthausen. Son grand-père paternel, Joseph Sala, a quant à lui été enrôlé dans la compagnie des travailleurs étrangers avant de rejoindre la résistance.

Dans le Poids des héros, récit émaillé de ses souvenirs d’enfance, David Sala nous esquisse la vie de ces deux grands-pères et nous raconte le lent cheminement qui l’ont conduit à réaliser cet album.

Sublime. Tout juste sublime. Voilà sans doute le mot qui résume le mieux cet album intimiste qui nous entraîne dans les souvenirs d’enfance d’un artiste qui s’est construit entre les deux figures tutélaires de ses grands-pères, ses parents, sa fratrie et ses copains.

C’est tout d’abord le dessin qui fascine le lecteur et l’entraîne sur les rives de l’enfance, avec une reconstitution impressionniste des seventies. Impressionnistes car l’artiste nous donne à ressentir, à voir bien sûr, mais aussi à entendre et à sentir. Le travail sur ces sensations s’avère particulièrement saisissant, des vêtements aux accessoires en passant par les véhicules et les intérieurs… jusqu’à la bande son, à travers les chansons chantées par ses parents, entendues à la radio ou passées sur la platine… tout nous immerge dans cette époque. Les papiers peints colorés de sa maison sont tout juste magnifiques alors que l’auteur reconstitue avec minutie l’ambiance de sa salle de classe, avec ce mobilier et ses affichages si caractéristiques de l’époque. Pour ceux qui ont été gamin durant les années 70, de nombreuses séquences agiront comme une madeleine de Proust, faisant ressurgir des souvenirs parfois bien enfouis, des images fugaces, mais encore prégnantes, de leur propre enfance.

Si l’histoire de ses deux grands-pères et tout juste incroyable et terrible, David Sala n’a pas cherché à faire œuvre d’historien. Il s’est appuyé sur ses souvenirs d’enfant, sur les bribes de conversations entre « grands » dont il fut le témoin et qui l’ont marqué, jusqu’aux drames qui ont pu marquer sa vie et que l’artiste retranscrit avec force et sensibilité… Et il y a ce recours à l’imaginaire de l’enfant qu’il fut, pour combler les vides ou les lacunes de ses souvenirs, telle la course onirique de son grand-père maternel fuyant l’Espagne sur le dos d’un cheval bleu lancé au grand galop dans les plaines et franchissant les Pyrénées avec un bon prodigieux… ou ces scènes sinistres traduisant avec son imaginaire enfantin ce que fut l’enfer des les camps de la mort.

Et il y a ces dialogues, tout en retenue, au diapason de ce récit intimiste et bouleversant, qui soulignent avec justesse l’humanité et la force de chacun des personnages… à commencer par ce grand-père qui se sait condamné mais qui refuse de mourir avant Franco et finira par remporter cet ultime, dérisoire et pourtant sublime combat.

Avec cet album sensible et intimiste, David Sala nous dévoile un pan de son enfance et de sa jeunesse… Avant de devenir l’auteur et artiste que l’on sait, il fut, comme tout un chacun, un enfant. Mais David Sala a grandi à l’ombre des statues de ses deux grands-père, tous deux opposants au franquisme, émigrés en France, soldat de la Campagne de France fait prisonnier et déporté au camp de Mauthausen pour l’un, Résistant pour l’autre…

Reconstituant avec sensibilité l’atmosphère des seventies, David Sala nous raconte comment il s’est retrouvé dépositaire de cet héritage dont la famille l’a, implicitement, chargé de transmettre aux générations futures, comme si chacun de ses travaux, chacun de ses albums, n’avait pour seul but que d’accoucher de celui-ci…

Le Poids des Héros est indéniablement le chef d’œuvre de cet auteur rare et précieux, l’un des albums les plus justes et les plus bouleversants de ce début d’année…

- Terrible !
- Quelle histoire ! C’est presque… Enfin, c’est incroyable !
-Lui, ne parlait pas de tout ça, tu sais, fallait toujours tu vois… insister pour qu’il…
- Son histoire, il faut la transmettre ! Pour les générations futures d’après, connaître tout ça, c’est essentiel, pour que toute cette horreur ne se produise plus.
- C’est notre responsabilité, en parler à nos enfants… Pour qu’eux aussi puissent… Hein les enfants ? Ça sera à vous l’histoire de votre grand-père…dialogue page 58