1900. L’industrie du cinéma est en plein essor, tant grâce aux progrès technologique, qu’aux entrepreneurs inspirés, tels Charles Pathé et Léon Gaumont ou qu’aux cinéastes inspirés qui réalisèrent les premiers chef-d’œuvre, tel Alice Guy ou Georges Méliès. Pathé et Gaumont se livrent une compétition acharnée où tous les coups semblent permis. Lorgnant sur le marché américain, Gaumont, qui s’est récemment débarrassé de la trop talentueuse Alice Guy, propose un marché que Pathé ne peut pas refuser : Gaumont s’engage à se mettre en retrait en France tandis que Pathé accepte de ne plus y diffuser de films produits en Europe avec d’autant plus d’entrain qu’il sait une chose que Gaumont ignore manifestement : de nouvelles lois protectionnistes interdisent de le faire… Cette alliance de façade ne durera pas d’autant qu’un évènement s’apprête à embraser l’Europe et le Monde et à redistribuer les cartes : la Première Guerre Mondiale. dans les coulisses de la naissance d’un art nouveau Ceux qui me connaissent savent que je suis littéralement tombé sous le charme du formidable travail de Jean-Baptiste Hostache avec le premier tome des Pionniers. Bien sûr, ce n’était pas son premier album et j’avoue avoir été enthousiasmé par son travail Clockwerx (de Jason Henderson et Tony Salvaggio) et plus encore par celui sur la Naissance du Tigre (de Feldrik Rivat)… Mais il se dégageait des planches de la Machine du Diable une énergie, une émotion et une élégance qui m’ont particulièrement touché… Tout comme le poétique et jubilatoire Shibumi, formidable adaptation du fascinant roman de Trevanian signé par Pat Perna, est un petit bijou, dans un registre très différent toutefois…un dessin somptueux et fascinant qui parvient capter et à retranscrire l’air du temps Son dessin s’avère fascinant et esquisse l’époque de façon particulièrement saisissante. Mieux, il nous donne à la ressentir, nous y immergeant avec une facilité désarmante. Son style épuré parvient à capter et à retranscrire l’air du temps alors que ses couleurs délicates et envoûtantes soulignent avec art la dramaturgie de chaque scène. Ses cayons virtuoses s’avèrent être un formidable vecteur d’émotion, mettant en scène avec finesse et une rare acuité les états d’âmes de ses personnages qui vont se déchirer autour de cette même passion qui aurait dû les réunir. Ce faisant, il leur permettait de prendre chair, de s’incarner pleinement, d’être des personnages complexes et crédibles, rendant l’histoire de Guillaume Dorison plus passionnante encore…Ce second opus est une fois encore superbement édité : magnifiquement illustrée, la couverture est mise en valeur par un titrage sobre et élégant et un dos toilé du plus bel effet… On y voit nos trois pionniers dans une attitude peu équivoque qui montre combien ces trois-là ne sont pas en très bon termes… Entre une Alice Guy triste et désabusée de voir son rêve s’écrouler et de ne pas voir son travail reconnu à sa juste valeur, Charles Pathé qui ne cherche même pas à masquer sa colère et Léon Gaumont qui, un peu en retrait, semble désolé de la situation… S’appuyant sur une solide documentation et la caution historique de Damien Maric, le scénario de Guillaume Dorison s’avère tout autant édifiant que passionnant. Ils nous entraînent dans les coulisses de la naissance du neuvième art. Mais son récit n’est en rien professoral. L’histoire du cinéma s’incarne dans des personnes que beaucoup ne connaissaient jusque-là que de nom : Léon Gaumont, Charles Pathé, Georges Méliès et… Alice Guy, cinéaste injustement méconnu qui aurait pu rester dans l’oubli si des auteurs talentueux, tels Catel et José-Louis Bocquet, ne l’avaient exhumé des oubliettes de l’histoire… Alors que c’est elle qui, la première, a perçu le formidable potentiel narratif du cinéma, qui a posé les bases de la grammaire et du vocabulaire cinématographique, inventant même le making-off et devenant avec la Solax Film Co la première productrice de l’histoire du cinéma et qui eut l’idée de louer ses studios à d’autres producteurs ! Alice Guy est parvenue, par sa passion et son travail, à s’imposer dans un monde d’homme, malgré un mari incompétent qui s’appliqua à faire couler son entreprise… Pourquoi un tel oubli ? Et pourquoi est-elle aujourd’hui plus connue de l’autre côté de l’Atlantique que dans l’Hexagone ? Sans compter qu’elle fit de ses films des œuvres engagées en faisant, la première, tourner des personnes de couleurs ou défendant la cause des femmes… La guerre économique que se livrèrent Pathé et Gaumont qui se vouaient une haine farouche, est formidablement bien retranscrite et, lorsqu’on songe que s’ils avaient mis leur égo en veilleuse et avaient durablement associé leurs talents et leurs compétences avec celle d’un Georges Mélies ou d’une Alice Guy, ils auraient régné durant des décennies sur le cinéma mondial, comme le leur fait remarquer son épouse, Marie, alors que leur rivalité avait atteint son paroxysme… Mais, comme le dit Charles Pathé plusieurs années après, lorsque leur hache de guerre avait été enterrée : le cinéma serait-il ce qu’il est sans leur farouche compétition ? L’album est complété par un dossier historique et graphique passionnant dans lequel on présente tout d’abord sommairement la vie de chacun des protagonistes de l’histoire après cette période des pionniers. Le tout est suivi de pages édifiantes qui recensent d’étranges évènements politiques ou climatiques qui se sont déroulés à Paris en marge de la naissance du cinéma pour finir sur un making-of de l’album. Ce dernier nous dévoile le processus créatif en nous montrant, pour quatre planches données, les différentes étapes de leur réalisation, du synopsis à la couleur en passant par le rough et l’encrage… Nombreux des personnages croisés dans ce diptyque sont connus sans que l’on sache qu’ils se sont côtoyé et affronté pour donner naissance au septième art… Mais certains furent injustement oubliés, telle Alice Guy, qui fut pourtant la première à comprendre le formidable potentiel narratif du cinéma et qui lui donna ses premières lettres de noblesse… Entrepreneurs visionnaires, inventeurs de génie, créateurs inspirés, Charles Pathé, Léon Gaumont, , les Frères Lumière, Thomas Edison, Alice Guy, Georges Méliès ont chacun apporté leur pierre à l’édifice cinématographique , donnant naissance, sans en être pleinement conscient, à un art nouveau appelé à un bien bel avenir… Si la rivalité et les jalousies opposant Pathé à Gaumont ont sans doute précipité la chute de leurs entreprises respectives et causé bien des malheurs, elle fut aussi un formidable levier qui sortit le cinématographe des foires où il était cantonné afin qu’il puisse donner sa pleine mesure… Le trait plein de vie et d’élégance de Jean-Baptiste Hostache est une petite merveille qui retranscrit avec force et justesse les émotions des différents protagonistes pour cette fresque fascinante qui nous parle de la vie de ces femmes et de ces hommes qui ont fait le cinéma… Ce diptyque consacré aux Pionniers du septième art indéniablement un énorme coup de cœur de ce printemps… Chaque histoire doit porter un message, sinon elle est vaine. Je veux mettre en avant des femmes combatives qui prennent leur vie en main.Alice Guy
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