Si Emily Brontë marqua l’histoire de la littérature de son empreinte avec son unique roman, les Hauts de Hurlevent, et ses somptueux poèmes et que sa sœur Charlotte Brontë fit de même avec son Jane Eyre, leur plus jeune sœur, Anne Brontë est moins connu qu’elles… Alors que sa Recluse de Wildfell Hall qui raconte l’histoire d’une femme qui quitte son mari débauché avec sa fille, est considéré par beaucoup comme l’un des premiers romans féministes de l’histoire de la littérature…

C’est pourtant bien elle qui est au centre du nouveau roman graphique de Paulina Spucches dont le talent a été révélé par sa somptueuse biographie de la photographe américaine Vivian Maier… Dans cet album, l’autrice dépeint avec finesse et poésie ces landes battue par le vent et ces collines brunes du Yorkshire qui ont vu grandir les sœurs Brontë et qui ont sans doute inspiré et leurs vers et leur prose. Poser ce cadre contribue grandement à esquisser le portrait saisissant de ces trois personnages qui firent une entrée remarquée dans les cercles littéraires londoniens. Elles se cachaient alors derrière le pseudonyme des frères Currer, Ellis et Acton Bell, les femmes étant, selon les hommes de l’époque, bien incapables d’écrire alors que ces mêmes hommes considéraient les œuvres des frères Bell comme subversives et dangereuses pour la gente féminine qu’ils jugeaient par trop influençables.

Au travers la description méticuleuse de leur relation, c’est le portrait poignant de trois femmes, filles de pasteur anglican, qu’esquisse l’autrice, des malheurs qu’elles durent affronter à leur complicité, de la perte précoce de leur mère et de leurs sœurs aînées en passant par la déchéance de ce frère qui sombra, peu à peu, faute d’avoir pu devenir le peintre ou l’écrivain qu’il rêvait d’être avant d’être ravagé par un chagrin d’amour. Mais c’est surtout le portrait de la jeune Anne, la plus secrète, la plus religieuse et la plus mélancolique des sœurs Brontë, qui puisa dans son expérience de gouvernante la matière d’Agnes Grey, son premier roman alors que la décadence de son frère Branwell, considéré durant son enfance comme l’artiste de la famille mais dont les œuvres n’eurent pas la portée de celle de ses sœurs, inspira le second…

Si le récit s’avère fascinant, frôlant par moment le fantastique et le gothique cher à Lord Byron qui inspira tant Branwell qu’Emily ou Charlotte, c’est grâce aux somptueuses compositions de Paulina Spucches qui nous donne à ressentir tant la beauté et la mélancolie que la poésie qui innervent son récit. L’album est truffé de références qui, sans doute, échapperont aux lecteurs et lectrices méconnaissant l’œuvre des sœurs Brontë mais l’atmosphère qui s’en dégage est semblable à celui qui se dégage des romans d’Anne…

Après son remarquable album consacré à Vivian Maier Paulina Spucches nous entraîne dans les landes du Yorkshire pour une poignante biographie des sœurs Brontë en général et de la plus jeune d’entre elles en particulier…

Moins connue et plus mélancolique que ses deux illustres aînées, Emily, autrice des Hauts de Hurlevent et Charlotte à qui l’on doit Jane Eyre, Anne s’avère être une jeune écrivaine particulièrement touchante qui pose un regard affûté sur la société de l’époque. Les relations et la complicité l’unissant à ses sœurs sont savamment retranscrites alors que le dessin sensible et poétique s’affranchit des frontières séparant le réel de l’imaginaire, montrant combien sa vie et son œuvre sont inextricablement liées…

Truffé de références qui échapperont peut-être aux lecteurs ne connaissant pas l’œuvre des « Frères Brontë », Brontëana est une œuvre envoûtante et pénétrante qui donne furieusement envie de découvrir l’œuvre de cette sœur qui a grandi à l’ombre de ses aînés

- C’était maladroit, certes. Mais elle souhaite bien faire. Elle a raison lorsqu’elle dit que tes poèmes sont sublimes et qu’ils méritent d’être lus.
- Vous exagérez. Toi aussi, tes poèmes sont…
- Non, Emily. Ça n’a rien à voir.
- Ne te rabaisse pas.
- Ce n’est pas le cas. Je suis encore jeune. Avec l’âge et l’expérience, ils deviendront meilleurs… Mais les tiens… Depuis ta prose inspirée de Gondal jusqu’à aujourd’hui, tous semblent provenir d’une voix qui a déjà tout vécu…dialogue entre Anna et Emily Brontë