Majorque, 1983. Un petit garçon nous parle avec émotion de Vicente, son grand-père dont son grand ami disait qu’il était l’homme le plus courageux qu’il connaissait et des histoires qu’il aimait à raconter… des histoires vécues tandis qu’il luttait contre le franquisme, qu’il était enfermé dans un camp de concentration en France, combattait aux côtés des anglais à Dunkerque puis fut fait prisonnier par les allemands avant de revenir en Espagne où il fut enfermé dans un camp pour avoir trahi son pays…

Lors du décès de son grand-père, en 1999, le petit garçon devenu adulte trouve trois cahiers manuscrits rédigés après-guerres et dans lesquels il consignait sa vie durant les conflits, tandis qu’il combattait sous l’un des cinq drapeaux…

S’appuyant sur ces carnets truffés de détails et d’anecdotes dont son grand-père n’avait jamais parlé, l’auteur nous raconte la vie de ce grand-père, replongeant dans sa folle jeunesse, lorsqu’il s’engagea pour combattre les troupes nationalistes et défendre la République…

Révélé par l’excellentissime saga d'Atlas & Axis Pau fait partie de ces artistes qui impressionne à chaque nouvel album par la singularité de son dessin de prime abord enfantin et la maturité de ses histoire… Et ce mélange, surprenant à priori, s’avère tout juste parfait pour aborder des sujet graves, tels que la guerre civile espagnole et la guerre mondiale qui la suivit.

S’appuyant sur les souvenirs que son grand-père qui a traversé neuf ans de guerre a retranscrit dans des carnets, Pau nous livre l’un de ses séries les plus intimistes. Le titre du premier des cinq tomes prévu porte un nom qui claque comme un drapeau : Liberté, Egalité, Fraternité et traite un sujet méconnu par le grand public de l’histoire qui a déjà été abordé par Aurel dans son bouleversant film d’animation Josep… Trois mots qui forment notre devise nationale et qui ont chacun été bafoués sans vergogne par le gouvernement français qui a parqué les républicains espagnols dans des camps de concentration (pour reprendre la terminologie de l’époque où ils furent mal nourris et maltraités tandis qu’ils prirent les premiers les armes pour combattre le fascisme et la dictature… Alors même que les troupes nationalistes étaient soutenues matériellement et militairement par les puissance de l’Axe qui leur permirent d’éprouver en situation leurs armement et leurs stratégies militaires, la France bloquait à la frontière des armes destinées aux républicains espagnols, respectant le principe de non intervention, bafoué par les puissances de l’Axe…La position officielle de la Grande-Bretagne qui menaçait son soutien à la France en cas de conflit avec l’Allemagne hitlérienne si elle intervenait en Espagne ne fut pas étrangère à l’attitude de la France à l’égard des républicains espagnols… mais rien ne justifiait le traitement inhumain qui leur fut infligé lorsque, une fois leur défaite consommée, ils fuirent l’Espagne franquiste pour se réfugier de l’autre côté des Pyrénées, dans la patrie des Droits de l’Homme…

A mi-chemin entre l’album illustré et la bande-dessinée, le récit de Pau s’avère passionnant, porté par des personnages anthropomorphiques dont il a le secret et qu’il anime avec art, soulignant les émotions qui traversent Vicente, le grand-père de Pau, qui n’était alors qu’un tout jeune homme, tandis qu’il était confronté à la mort et aux privations… La structure narrative de l’album s’avère particulièrement efficace, avec cette entrée en matière très intimiste et la narration de la rude vie dans les camps de concentration français ponctuée de flashback racontant sa guerre civile espagnole, de son engagement comme combattant, non sans avoir falsifié sa carte d’identité à la rudesse des combats et au situations auxquelles il a été confronté…

Comme de coutume, l’artiste espagnol fait montre d’un savoir-faire saisissant en matière de composition des planches, induisant une narration d’une rare fluidité tout en immergeant le lecteur dans cette époque troublée qui contenait en elle les germes de la guerre à venir. Le contexte et l’approche anthropomorphique du récit évoque le travail du grand Calvo et son La Bête est morte, fascinante satyre animalière racontant la guerre et l’occupation et qui fut publiée peu avant la fin de celle-ci… Un subtil travail sur la couleur permet au lecteur de ne pas se perdre entre les différentes époques, avec des couleurs lumineuses et apaisantes pour les années 80 où l’artiste raconte ses souvenirs d’enfance et ces vacances passées avec son grand-père, des couleurs plus délavées pour la guerre d’Espagne, comme pour en évoquer les souvenirs douloureux qui y sont liés, et des teintes sépias pour évoquer la solitude et la mélancolie qui le rongeait, alors qu’il ne savait rien du sort des siens…

L’album se referme sur un passionnant dossier historique qui vient compléter l’histoire et éclairer certaines zones d’ombres pour permettre au lecteur de mieux comprendre ce qui s’est joué durant cette guerre, annonciatrice de la guerre mondiale à venir… De nombreuses pièces d‘archives ancrent plus encore le récit dans la réalité, faisant de cet album un témoignage poignant d’une époque tourmentée…

Avec Liberté, Egalité, Fraternité, premier tome des cinq albums qui composeront ses 5 drapeaux, Pau rend un saisissant hommage à son regretté grand-père qui combattit sous cinq drapeaux : sous celui de la deuxième République espagnole lorsqu’il falsifia sa carte d’identité pour s’engager et défendre son pays contre les armées nationalistes soutenues par les Force de l’Axe; sous le drapeau français tandis que, fuyant son pays après la défaite des républicain, il pensait trouver un refuge salutaire en France où il fut enfermé avec ses compatriotes dans des camp de concentration dans des conditions inhumaines; sous celui du Royaume-Unis lorsqu’il combattit à Dunkerque aux côtés de l’armée britannique; celui de l’Allemagne quand il fut fait prisonnier et contraint de travailler pour l’Allemagne nazie; et, pour finir, celui de l’Espagne franquiste où on lui fit chèrement payé d’avoir « trahi » son pays en prenant les armes contre les troupes franquistes…

La structure narrative de l’album et la composition soignée des planches lui confèrent une puissance indéniable alors que ce premier opus pointe l’attitude trouble de la France en décrivant la vie dans ces camps de concentration où furent parqués les républicains espagnols dans des conditions sanitaires insoutenables. Le travail sur la colorisation permet au lecteur de se retrouver dans les différentes époques du récit, alors que l’artiste espagnol anime avec le talent qu’on lui connaît ses personnages anthropomorphiques dont il retranscrit les émotions avec force et justesse…

Ce premier tome des 5 drapeaux amorce une saga historique aussi passionnante qu’édifiante dont il nous tarde de lire la suite au vu de ses qualités narratives et graphiques.

Lorsque nous traversions les villages, les habitants sortaient observer notre étrange convois. Que pensaient-ils de nous, ces pauvres gens ?Vicente