Une jeune princesse dort paisiblement dans son lit dans le château de ses parents, monarques éclairés et progressistes dépensant leur fortune dans les arts et la culture plutôt que dans la guerre et les fortifications… Sur le papier, l’idée semblait chouette… Mais lorsqu’une hord de monstres sanguinaires et affamés attaquent le château pour trucidef tout le monde, on est en droit de s’interroger sur les royales priorités…
Bref, une jeune orpheline dort paisiblement dans un château où, à part les monstres, il n’y a plus âme qui vive… A part elle et le magicien (oups, pardon, le naturalien) du château qui tente de la mettre à l’abri et lui offre, juste avant de mourir, une bicyclette… On ne sait pas trop ce que c’est mais ça a l’air fichtrement précieux…
S’enfuyant du château en flammes après avoir jeté un dernier regard sur le bûcher où ses parents finissent de se consumer, elle part en portant sa bicyclette, ultime vestige de son passé insouciant… Et on se doute déjà que son chemin va être semé d’embûches… Et c’est tant mieux sinon il n’y aurait pas vraiment d’histoire et on s’ennuierait ferme !
Mais comment Joann Sfar fait-il pour écrire et dessiner tant d’album en si peu de temps ? Mieux, même : comment fait Joann Sfar pour écrire en si peu de temps autant d’album divers et variés aussi jubilatoires et captivants… « Joann Sfar » est-il un prête nom utilisé par plusieurs auteurs ? Sinon, il y a un truc : soit il a trouvé dans je ne sais quel donjon un anneau d’ubiquité multiple… Soit il a inventé un truc assez proche de la machine à remonter dans le temps… Soit c’est un extra-terrestre venu de la planète Xenon 4 pour qui le temps terrestre se déroule infiniment plus lentement que celui de sa planète d’origine… Mais, clairement, il y a un truc…
Pour ceux qui en doutaient encore et qui n’ont pas lu
Donjon, série jubilatoire co-écrite avec Lewis Trondheim, Sfar est un rôliste et le titre de l’album, appelé nous l’espérons à devenir une série rafraîchissante et récréative, est là pour le rappeler… Mais c’est surtout la tonalité de l’album, son humour iconoclaste et décalé, ses références en cascades et ses séquences jubilatoires, telle ces digressions rôlistiques qu’on ne retrouve guère qu’autour d’une table de D&D où un groupe d’aventuriers devise joyeusement sur l’opportunité pour un guerrier niveau 3, un voleur niveau 2 et un prêtre niveau 5 de trucider un dragon niveau 10 ou sur l’alignement du paladin assez peu en rapport avec la légèreté de son comportement…
On retrouve tout ce qui fait le charme de nombreux albums de Sfar : des dialogues truculents et des récitatifs délicieusement décalés qui prennent le lecteur à contre-pied, des situations totalement barrées, un scénariste qui joue avec malice à tordre les codes du genre et, surtout, des personnages joyeusement barrés, telle cette princesse iconoclaste au sommeil un peu lourd et aux dents acérées pleine de ressources et d’initiatives qui, grâce à une sonnette-appeau-à-dragon, va pouvoir embobiner un cracheur de feu qui vaut lui aussi son pesant de pièce d’or pour la débarrasser de ces peaux vertes un brin envahissantes et d’humeur massacrantes…
Est-ce un hasard si certaines séquences du récit semblent faire référence aux
Trois Brigands, chef d’œuvre de Tomi Ungerer qui a contribué à révolutionner la littérature jeunesse ? Hum… pas sûr… ne retrouve-t-ton pas chez Joann Sfar l’irrévérence et le non politiquement correct qu’on appréciait tant enfant chez Ungerer ?
Et puis il y ce dessin jeté et débordant d’une énergie follement revigorante et d’une inventivité débridée, le tout superbement mis en couleur par les pinceaux nuancés d’un Christophe Araldi on ne peut plus inspiré… Le trait souple de l’artiste anime comme de coutume ses personnages avec virtuosité tandis que, sous des apparences à priori sages, son découpage est comme de coutume d’une redoutable efficacité narrative… Sans cette spontanéité, de nombreuses séquences de l’album seraient insoutenables tant la violence y est montrée sans fards… Mais avec Sfar et ses incroyables talents de conteur, tout passe crème…
Après son puissant Nous vivrons, Joann Sfar revient avec un album plus léger, renouant avec un genre qu’il affectionne tout particulièrement : l’heroic-fantasy-déjantée…
L’héroïne n’est autre qu’une Princesse élevée par des monarques privilégiant l’art et la culture à la guerre… Réveillée en pleine nuit par une horde de monstres massacrant à tour de bras les habitants du château, la princesse ne doit sa survie qu’à ses dents acérées et au mage du château (un magicien quoi !) qui, tout en agonisant, lui confie une bicyclette, un truc un peu étrange à l’utilité incertaine… mais dont la sonnette semble être un sympathique appeau à dragon, instrument idéal pour se défaire de la horde de monstre qui souhaite la bouloter… ou pire…
Truffé de références aux jeux de rôle et d’un hommage appuyé à Tomi Ungerer, le scénario de Joann Sfar est comme toujours follement inventif et indéniablement jubilatoire… Dialogues et récitatifs s’avèrent irrésistibles et décalés alors que le dessin spontané et débordant d’une énergie dingue est joliment mis en valeur par la colorisation soignée du talentueux Christophe Araldi…
Reines & Dragons est l’une des délicieuses surprises de cet étrange mois de mai… Et, au vu de la morosité ambiante, ça fait du bien de lire un tel album !
- Tu es quoi ?
- une fille.
- Quel niveau,
- Je ne comprends pas.
- Moi, je me bats au contact. Le Halfelin, il cambriole et tir des flèches. Le magicien, il a des boules de feu et le nain c’est un guérisseur. Toi, tu sers à quoi ?
- Je ne me suis jamais posé la question.dialogue entre un paladin et la Princesse