Paris, 31 janvier 1907. La petite Marthe Erbelding, onze ans, vient de disparaître et tout laisse à penser qu’elle a été enlevée et sans doute assassinée…
Pour monsieur Lachaise, ambitieux patron d’un modeste journal, c’est une aubaine ! Il demande à Valentin de couvrir l’affaire, dû-t-il pour cela renoncer à son voyage de noce à Venise. Marguerite, sa jeune épouse, accepte contrainte et forcé de repousser ce séjour tant attendu…
Accompagnée de Léonie, une talentueuse illustratrice, Valentin va tenter d’enquêter alors que le journalisme est en pleine mutation… L’affaire fait rapidement la une des journaux à succès et alimentent toutes les conversations tandis que le président de la République, Armand Fallières et le Président du Conseil, Georges Clémenceau, s’apprêtent à déposer un projet d’abolition de la peine de mort…
La retentissante Affaire Soleilland du nom du suspect principal de la disparition de Marthe Erbelding s’est étalée à la une des plus grands journaux de la Belle Epoque, alimentant bien des discussions et faisant grandir le sentiment d’insécurité qui allait occuper et pourrir durablement le débat politique…
L’originalité de ce récit de Sylvain Venayre est de faire un pas de côté : on n’y suit ni la Sureté qui tentait de retrouver Marthe puis de confondre le coupable, ni même un enquêteur privé chargé par la famille d’élucider le crime… On ne croise jamais le coupable et la petite victime n’est qu’évoquée… A travers ce récit, il brosse le portrait d’une époque et celui d’un journalisme en pleine mutation… L’affaire est vue par le petit bout de la lorgnette, celle des journaliste, déformant, embellissant l’affaire pour la rendre plus sordide encore afin de vendre du papier… La mission première de la presse qui devrait être d’informer laisse place au sensationnel et à l’émotion, le crime s’étalant en une afin d’attirer le chaland alors que l’affaire est feuilletonnée et que les journalistes s’efforcent de recueillir LE scoop qui augmentera les ventes de leur journal…
Mais l’auteur s’attache aussi à montrer les réactions du petit peuple comme de la haute bourgeoisie face à ce crime sur qui les journaux braquent leurs projecteurs, nous donnant un aperçu du climat sociétal et politique de l’époque à travers des discussions sur la place de la femme dans la société ou le questionnement sur l’abolition sur la peine de mort… Et, si le récit est le prétexte de cette affaire pour aborder la mise en exergue des faits divers par la presse, source de la montée inexorable du sentiment d’insécurité qui occupe jusqu’à nos jours une place centrale dans le débat politique, les rédactions des journaux privilégiant le sensationnel et l’image choc à l’enquête journalistique plus à même d’aider à se forger une opinion, l’histoire n’en reste pas moins passionnante, avec comme fil rouge ce couple attachant formé par Margueritte et Valentin, dont le quotidien va être un temps bouleversé par cette triste affaire… Marguerite qui est d’ailleurs bien plus lucide que son époux sur le fonctionnement de la presse et la fabrique du fait divers… Le crime paye : les patrons de presse vendent et s’enrichissent grâce à lui !
J’avoue être une nouvelle fois fasciné par le dessin de Hugues Micol qui se renouvelle à chaque album pour mieux servir le récit qu’il met en scène. Son travail s’avère admirable, retranscrivant avec une facilité désarmante, qui n’est sans doute qu’apparente, l’atmosphère du Paris de la Belle Epoque. Ses visuels de la capitale sont de toute beauté et le chapitrage de l’album lui permet de nous offrir de somptueuse double-pages. Ses planches fourmillent de détails, de publicités aux badauds, des vendeurs de rue aux véhicules arpentant le pavé en passant par les intérieurs, modestes ou cossus… Mettant en scène des personnages crédibles et plein d’humanité, il fait montre d’une réelle inventivité pour animer les dialogues et souligner le propos, sans en avoir l’air… Ses couleurs sont tout aussi fascinantes et contribuent grandement à nous immerger dans cette Belle Epoque qui fit la part si belle au crime… Et il y a cette couverture, superbe et percutante qui montre comment la Presse a contribué à instaurer et faire grandir ce sentiment d’insécurité, avec cette ombre inquiétante et menaçante, projection déformée du crieur désireux de vendre son journal…
Crieurs du crime, la Belle Epoque du fait divers nous entraîne au cœur du Paris de la Belle Epoque dans le sillage d’un journaliste se rêvant écrivain…
Alors qu’il s’apprêtait à partir en voyage de noce, Valentin est rappelé par Monsieur Lachaise, le patron du journal pour lequel il travaille… La petite Marthe Erbelding a disparue alors qu’elle devait se rendre au Ba-Ta-Clan en compagnie de Albert Soleilland… Les journalistes vont s’emparer de ce qui deviendra l’Affaire Soleilland et la monter en épingle pour faire vendre du papier, infléchissant l’opinion publique… et empêcher l’abolition de la peine de mort pourtant souhaité par le Président de la République et celui du Conseil…
Sylvain Venayre s’appuie sur ce fait divers retentissant pour montrer comment le journalisme dont le but devrait être d’informer pour permettre aux lecteurs de se forger une opinion allait se muer en machine à scoop misant sur le sensationnel et créant ce sentiment d’insécurité qui gangrène encore de nos jours le débat public… Sans jamais montrer ni le crime ni les coupables, scénariste nous parle de la façon dont les rédactions se sont emparé de l’affaire pour en faire un feuilleton populaire tout en esquissant un saisissant portrait de cette « Belle Epoque »… Evoquant le style des illustrations des unes des journaux d’époque, le fascinant dessin de Hugues Micol retranscrit avec finesse le quotidien des parisiens tout en mettant en scène des personnages attachants et tragiquement humains…
Crieurs du crime, la Belle Epoque du fait divers est autant un documentaire sur le traitement par la presse d’un sordide fait divers qu’un récit intimiste qui va voir la vie d’un journaliste et de sa compagne bouleversée par ce meurtre…
- Aujourd’hui on vend les journaux au numéro, à la criée…
- On y trouve encore des romans-feuilletons.
- Oui, mais ils sont moins importants. A cause de la vente sur la voie publique, les patrons de presse doivent trouver des nouvelles sensationnelles chaque jour. Ils ont besoin de gros titre… Et un bon gros crime, c’est un bon gros titre, et l’assurance d’une bonne vente…dialogue entre Marhuerite et Valentin
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