La seconde guerre mondiale n’en finit plus d’inspirer les auteurs de BD. Philippe Richelle se plonge un peu plus dans cette époque en signant ce diptyque, après s’être lancé dans la saisissante fresque historique qu’est Amours Fragiles.
Une fois encore, il parvient à dépeindre cette époque troublée avec un incroyable talent. Son histoire chorale pose une époque et évite l’écueil du manichéisme. Les personnages, tout en nuances, ne sont ni bons, ni mauvais. Ce sont des hommes, des femmes, jetés en pâture de l’histoire. La frontière séparant les passéistes pessimistes des collaborateurs ou les lâches des résistants, les clairvoyants des aveugles, est des plus ténues. On peut, sans s’en rendre compte franchir la ligne blanche, et passer d’un camp à l’autre, pour manger à sa faim, avoir l’illusion du devoir accomplit, sauver sa peau, ou celle de sa famille.
Les destins croisés de ces différents protagonistes est tragique. De celui de ce policier ayant sombré dans l’alcoolisme à la mort de sa femme et que son métier révulse au point qu’il va poser sa démission pour ne plus avoir à commettre des actes heurtant sa morale… mais qui ne supportera pas, une fois la libération venue, de voir les conséquences de ses actes… à cet autre condé qui prétendra avoir cherché à protéger les juifs en les prévenant avant leur arrestations alors qu’il appliquait les ordres de manière zélées… Le portrait de chaque protagoniste est très subtilement esquissé, tout en nuance, dans toute sa complexité et ses contradictions, présentant cette époque avec une finesse rare… Ce ne sont pas des héros, juste des hommes et des femmes comme tout le monde, qui vivaient à une époque troublée ou la frontière entre le bien et le mal était impossible à tracer, et où chaque choix pouvait vous entraîner vers l’abîme.
Le dessin classique et réaliste de Pierre Wachs et le travail réalisé par Domnok, son coloriste, servent admirablement bien ce récit dont le nom poétique fut donné à la rafle du Vel' d'Hiv, évènement parmi les plus sombres de la collaboration du régime de Vichy avec l’occupant allemand.
Ce genre d’histoire me semble pédagogiquement très intéressant pour faire comprendre à ceux qui n’on pas connu cette période à quel point il est difficile, avec un demi-siècle de distance, de juger, et plus encore de condamner, les actions de telle ou telle personne, qui ne demandait qu’à survivre… En filigrane, une autre question, plus dérangeante encore : n’y a-t-il pas de nos jours maintes raisons de se lever et de résister à l’injustice grandissante qui semble marquer notre époque?