Le japon a plus que jamais le vent en poupe et n’en finit plus d’inspirer les scénaristes du neuvième art et d’agiter les crayons et les pinceaux d’agiles illustrateurs. Raule, scénariste génial de Jazz Maynard mais aussi du subtil et dérangeant Vies à contre-jour (tous deux mis en image par Roger, dessinateur au style affirmé dont l’élégance du trait séduit dès le premier regard), immerge le lecteur dans le japon médiéval avec un talent évident et une érudition appréciable.

Nous sommes en 1192, sept ans après la terrible bataille de Dan-no-ura où le père d'Isabellae Ashiwara a trouvé la mort héroïquement. Depuis, sa fille, rompue aux techniques du sabre, ère sur les dangereuses routes du japon, traquant sans pitiés brigands et voleurs qui menacent le peuple de leurs exactions. Accompagné du fantôme de son père qui la suit et la conseille, elle semble aller chaque jour au-devant de la mort, attendant qu’un combattant meilleur qu’elle la fasse passer de vie à trépas. Mais sa maîtrise du sabre est telle qu’elle ne trouve pas d’adversaire à sa mesure. Au fil des pages, le lecteur apprend qu’elle est à la recherche de sa sœur par le truchement de flashbacks menés avec finesse et élégance, et de dialogues entre ses deux parents défunts.
Par petites touches, les auteurs esquissent le portrait torturé d’Isabellae, fille d’un samouraï et d’une sorcière celte. L’équipe informelle d’aventurier (un bandit repentit et un jeune garçon turbulent, sans oublier un moine bouddhiste qui accompagne un temps leurs pas) se lance avec elle sur les traces de sa sœur et cette épopée japonaise pourrait bien se conclure en terre celte, achevant de mélanger les genres, dans un cocktail explosif et envoûtant…

Gabor dont nous avions pu apprécier le travail de coloriste dans le second tome de Curiosity Shop (petit bijou scénarisé par Teresa Valerot dessinée par Montse Martin) fait montre d’une grande maîtrise graphique. Son trait dynamique porte cet album qui s’inscrit dans la plus pure tradition des chanbara (de l’onomatopée chan-chan bara-bara qui retranscrit le bruit de la lame tranchant la chair… tout un programme !) alors que sa colorisation sobre et efficace souligne à merveille les différentes ambiances du récit, se faisant mélancolique lors des flashback ou percutantes lors des scènes de combat joliment chorégraphiées… Sa façon d’aborder les paysages n’est pas sans évoquer les estampes japonaises de Tsukioka Yoshitoshi ou d’Utagawa Hiroshige, immergeant le lecteur dans les traditions japonaises. Le cerne épais qui entoure ces personnages renforce d’ailleurs cette analogie avec les estampes et qui leur conférait ce charme et cette élégance si particulière.

Doté d’un dessin efficace au service d’un scénario original mêlant folklore occidental et oriental, ce premier opus d'Isabellae s’avère particulièrement prometteur. Le fantastique, présent dès la première scène avec le fantôme du père, se mêle avec l’aspect historique et confère à l’ensemble une dimension légendaire fort appréciable…