Près de treize années après son (hélas!) avortée
Piste des ombres Tiburce Oger se remet en selle pour un western au goût oldies qui entraînera le lecteur aux heures de la conquête d’un grand ouest dangereux et sauvage…
1896. Henri Ducharme et ses deux enfants ont quitté la Nouvelle-Orléans pour faire fortune dans l’Eldorado californien. Mais leur rêve sera de courte durée. Attaqués par un petit groupe d’indiens, le barbier va rapidement succomber avec son jeune fils, sa fille Mary n’échappant au massacre que grâce à l’arrivée impromptue d’Ed Fisher, un vieux cowboy au visage et à l’âme burinée. Tous deux s’abritent dans une ruine en sachant que le reste des indiens attendra l’aube pour attaquer… Pas question de dormir sous peine de ne pas être prêt à les recevoir… Ed va passer la nuit à couler des balles en racontant à la jeune Mary, prostrée, ce que fut sa vie aventureuse de Buffalo Runner, épisode clef de la conquête de l’Ouest, qui vit le massacre des bisons affaiblir les tribus indiennes, permettant le développement du commerce, l’arrivée des rails et de la civilisation… La conquête de l’ouest était en marche… Rien en l’arrêtera plus…
Scénariste, dessinateur, seul ou en duo, Tiburce Oger est auteur aussi rare que talentueux. Et c’est avec plaisir non feint que nous le suivons dans cette nouvelle aventure qui nous entraîne aux sources du western. Difficile de ne pas être attiré par cette album à la maquette de couverture si soignée qui rehausse une illustration tout juste magnifique…
L’histoire est d’une grande simplicité et se déroule l’espace d’une nuit. Une jeune femme et un cowboy enfermés dans une masure en attendant l’aube et l’attaque indienne… Puis les souvenirs refont surface et refont revivre toute une époque. Un scénario simple, donc, mais mené de main de maître. L’ossature du récit est remarquablement bien construite et les allers retour entre présent et souvenirs confèrent un rythme tout particulier à l’album et font planer sur celui-ci une douce et ténébreuse mélancolie. Des âpres combats vides de sens de la guerre de sécessions à l’immensité des plaines, du choc de deux civilisations aux services d’industriels ambitieux, c’est tout un pan de l’histoire de l’Amérique qui nous est compté au long de ces 72 pages, sans qu’on s’ennuie un seul instant… Mais l’histoire en elle-même, prétexte à ce récit aventureux, s’avère elle aussi bouleversante, avec une fin superbe, superbement triste et qui prend le lecteur à contre-pied…
Sans en avoir pleinement conscience, Ed Fisher est l’un de ceux qui ont forgé l’histoire d’un pays, côtoyant d’illustres inconnus dont certains deviendront célèbres et laisseront leurs noms dans les livres d’histoire… alors que lui ne sera plus que poussière balayée par le vent des plaines…
Et que dire de ce dessin, de ce style semi-réaliste si caractéristique de l’œuvre de Tiburce Oger dont les couleurs nous enchantent une nouvelle fois et nous transportent avec aisance dans les différents décors et ambiances qui émaillent le récit…
Avec Buffalo Runner, Tiburce Oger revient aux sources du western, beau, âpre et sauvage. Au travers d’un récit solidement charpenté baigné de mélancolie et d’une note de poésie, il nous fait montre de son talent de conteur et de metteur en scène hors pair… Il ravira n’en doutons pas tant les amateurs de western que ceux qui le sont de son œuvre… Un album fort et dense parmi les plus marquants de ce début d’année, une pépite du neuvième art…