Si Emmett Till n’est pas aussi connu que Rosa Parks, il le devrait. Car son meurtre atroce fut l’un des évènements à l’origine de la création du Mouvement des droits civiques, mouvement non violent œuvrant pour l’égalité des droits politiques… Arnaud Floc'h s’empare de son histoire pour en retracer la glaçante chronologie, de l’arrivée du jeune Emmet à Money dans le Mississipi à son meurtre et à la parodie de procès de ses assassins et à leur abject acquittement qui s’en suivit…
L’histoire nous est racontée par un vieux musicien noir témoin des tragiques évènements s’étant déroulé dans le Mississipi en août 1955. Interviewé par un jeune journaliste « musical » s’intéressant en vérité assez peu au blues, il va nous plonger soixante ans en arrière, dans une Amérique gangrénée par le raciste… Pour avoir osé pénétrer dans une épicerie réservée aux blancs, le jeune Emmet, âgé d’à peine quatorze ans, va être enlevé, torturé, et tué par deux blancs qui vont être acquittés avant de vendre leur histoire à la presse et y avouer leur crime… sans pour autant être inquiété du fait du
double Jeopardy Act, texte de loi américain stipulant qu’un homme ne peut être jugé deux fois pour le même crime…
Difficile de ne pas être bouleversé par ce récit poignant écrit et mis en image par Arnaud Floc'h. La structure narrative de l’album est remarquable de précision, faisant glisser par petite touche mais inexorablement le lecteur vers l’abîme, par le truchement de flashback parfaitement maîtrisés... Le récit qui trouve un écho dans notre présent à travers les échanges entre le journaliste et le bluesman Luther Wild Boy… Ce dernier, sur la défensive, comprend rapidement que ce soit disant journaliste de musical s’intéresse plus à Emmet qu’à sa personne et les raisons qui émergent peu à peu de l’histoire la rendent plus percutante encore. Si le meurtre d’Emmet est atroce et insoutenable, l’impunité dont a bénéficié ses bourreaux l’est tout autant, soulevant un profond sentiment de nausée, de colère et de révolte…
Côté dessin, le trait semi-réaliste d’Arnaud Floc’h fait ressortir l’humanité du jeune Emmet. Son découpage, précis et efficace, suggère plus qu’il ne montre l’horreur, la rendant plus insoutenable encore…
Soutenu par Amnesty International, cet album se doit de figurer en bonne place dans toute bibliothèque… Emmett Till, Derniers jours d’une courte vie est un album incontournable qui vous prend aux tripes et vous laisse assommé à l’annonce du verdict… En relatant ce tragique « fait divers », Arnaud Floc’h accompli un salutaire travail de mémoire, pour que nul n’oublie qu’il y a quelques décennies à peine, on pouvait mourir pour sa couleur de peau, sans que les assassins ne soient aucunement inquiétée par la justice… Mais l’édifiant dossier qui clôture l’album et complète le récit de façon saisissante rappelle que 60 ans après le meurtre sordide d’Emmet Till, il existe toujours une justice à deux vitesse dans ce soi-disant pays de la liberté…