La légende de Merlin, du Roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde fait partie de ces grands mythes européens qui n’en finissent pas d’inspirer poètes et scénaristes, écrivains et cinéastes, pour notre plus grand plaisir… A l’instar du
Milady d’Agnès Maupré qui proposer une relecture des Trois Mousquetaires par les yeux de la sulfureuse lady, Simon Kansara et Stéphane Fert nous invitent à redécouvrir le mythe arthurien au travers de ceux de Morgane, la maléfique sœur d’Arthur…
Spoliée de son destin de reine par son demi-frère, Morgane n’aura de cesse que de reconquérir la couronne dont elle s’estime la légitime héritière. Farouchement indépendante, elle va se dresser contre la tyrannie des chevaliers de la Table Ronde, manipulés par Merlin…
Sa colère sera son arme pour assouvir sa soif de pouvoir et mettre à bas l’ordre établi…
Avant même que de se laisser envoûter par le scénario, c’est le dessin, sublime et truffé de références à l’œuvre de Klimt ou d’Eyvind Earle qui capte l’attention du lecteur par ses charmes sulfureux. La couverture est magnifique et attire d’emblée le regard par sa composition soignée et son dessin stylisée… Difficile de ne pas être pris de l’irrépressible envie de feuilleter l’album et, dès lors, tel un chevalier perdu dans le val sans retour, on ne peut s’empêcher de se perdre dans les méandres de cette histoire audacieuse qui donne le premier rôle à Morgane, fleur vénéneuse et sulfureuse habitée par une ambition dévorante… Les couleurs, sublimes, magnifient le dessin, soulignant avec subtilité et efficacité les différentes ambiances qui baignent le récit…
C’est donc porté par les dessins épurés et magnifiquement mis en couleur de Stéphane Fert que l’on découvre, subjugués, le récit épique écrit à quatre mains par Simon Kansara et Stéphane Fert… Il nous entraîne à la lisière du mythe en nous proposant une variation subtile de la geste arthurienne où le roi Arthur est loin d’être un modèle de vertu, où ses orgueilleux chevaliers ne brillent pas par leur esprit et où Merlin, aveuglé par l’amour, perd quelque peu de sa superbe… Ce faisant, les auteurs tissent un récit brillant, parvenant à surprendre le lecteur par les tours et les détours qu’ils empruntent pour nous livrer une version délicieusement décalée, à la fois similaire et en même temps délicieusement et résolument iconoclaste…
Il y a quelque chose de profondément shakespearien dans ce récit tragique où s’exacerbent les sentiments, les haines et les rancœurs, les ambitions et les trahisons… Morgane n’est d’ailleurs pas sans évoquer la Lady Macbeth de l’auteur victorien, figure absolue du désir féminin et moteur de l’action de la pièce éponyme, comme Morgane l’est dans ce conte sanglant et sombrement fantastique…
Simon Kansara et Stéphane Fert signent avec Morgane une variation sombre et torturée du mythe arthurien, une version archaïque et puissante superbement mis en image. Le dessinateur signe ici un premier album de toute beauté au style travaillé et déjà affirmé d’où il émane une sulfureuse sensualité.
En esquissant le portrait saisissant et plein de subtilité de Morgane, les deux auteurs revisitent avec un talent évident le mythe arthurien, écornant au passage les personnages habitués à tenir les premiers rôles et proposant aux lecteurs une sublime relecture du mythe…
Un petit bijou à lire d’urgence pour son scénario iconoclaste et son dessin époustouflant…
(*) «Pour leurrer le monde, ressemble au monde; ressemble à l'innocente fleur, mais sois le serpent qu'elle cache.», Macbeth de William Shakespeare