Régis Hautière et David François concluent leur passionnant diptyque retraçant le parcours mouvementé d’un immigré dans le New-York des années 30.
Chassé d’Ukraine par la terrible grande famine orchestrée par Staline, Sacha Stasevytch Bujak accoste à Ellis Island plein d’espoir … Bien vite, il déchante et comprend que l’Amérique n’est pas l’El Dorado espéré et que l’opulence y côtoie la grande pauvreté, dans l’indifférence générale…
Alors qu’il comptait sur son cousin pour l’héberger, il se retrouve à squatter les combles d’un immeuble cossu qu’une riche bourgeoise a légué à ses chiens, en échange de quoi il doit aider à promener les héritiers canins… Par hasard, une nuit, il empêche deux mafieux irlandais de tuer un homme qu’il conduit chez un médecin … Quelques jours plus tard, sa route recroise celle de Tonio Lanzana, l’homme qu’il a sauvé d’une mort certaine… Ce dernier, capo de la famille Mangano, lui trouve un engagement sur le chantier du RCA Building. Un boulot mal payé et dangereux… Pour arrondir ses fins de mois, Tonio lui propose quelques boulots à la limite de la légalité… Au cours de l’un d’entre eux, il va rencontrer les troublantes sœurs Magdaléna et tomber amoureux de l’une d’elle… Sur le chantier, la colère gronde et la rumeur de grève se fait de plus en plus insistante…
Après la jubilatoire Étrange affaire des corps sans vie et le remarquable De briques & de sang qui nous entraînait dans un polar prenant pour cadre le Familistère de Guise, Régis Hautière et David François se retrouvent pour signer une chronique sociale passionnante qui nous entraîne dans le New-York de la prohibition, alors que les mafias se livraient une guerre sanglante à l’ombre des gratte-ciel qui s’élève par dizaines…
Personnage principal du diptyque, Sacha découvre presque émerveillé les lumières de cette ville qui s’élève chaque jour un peu plus vers le ciel. Mais le vernis du rêve américain s’écaille rapidement. Les ouvriers risquent leur vie pour une misère, la mafia fait pression sur les politiques pour maintenir la prohibition, véritable poule aux œufs d’or… Sans s’en rendre compte, dans le seul but de revoir une jeune femme entraperçue dans une voiture, Sacha va mettre le doigt dans un engrenage infernal. Cette ville monstrueuse et tentaculaire va finir par le broyer, lui arracher toutes ses illusions et les piétiner sans vergogne… Le final, dantesque, donne la clef de l’énigmatique titre du diptyque, avec une vertigineuse mise en abîme avec le chef d’œuvre de Merian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack…
Le scénario envoûtant de Régis Hautière est magistralement mise en image par David François. Son trait élégant et charbonneux redonne vie à ce New-York des années 30 qui servit de cadre à tant de films et de romans. Des ambiances endiablées des speakeasy aux contrastes saisissants qui clivent la société, il soigne tout particulièrement l’atmosphère de chaque scène par ses choix subtil de couleurs. Son New-York, écartelé entre la ville authentique et la ville fantasmée, est magistralement recomposé, immergeant le lecteur dans ses ruelles en pleine mutations… Chacune de ses planches est superbement composées, avec des cadrages précis qui accentuent les émotions véhiculées par chacune des scènes où offrent des visions vertigineuses et saisissantes de la «ville qui ne dort jamais». C’est peu dire que le dessinateur interprète avec un talent épatant la partition de son complice scénariste…
Avec ce second tome, Régis Hautière et David François signent un album superbe et ténébreux qui retrace le destin de Sacha, un immigré, courageux et taiseux, qui a fui son Ukraine natale pour l’Amérique en quête d’une vie meilleure… Il va découvrir par bribe une ville tentaculaire, mouvante et insaisissable, écartelée entre ombres et lumières…
Un homme de joie est un diptyque envoûtant où le scénario parfaitement maîtrisé de Régis Hautière est superbement mis en image par un David François au sommet de son art…
(*)L’Homme qui rit, Victor Hugo
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