Avec
Kraken, Emiliano Pagani et Bruno Cannucciari nous entraînent dans un récit remarquablement bien écrit et mis en image avec une rare efficacité…
Serge Dougarry, ancienne gloire du petit écran, se noie dans l’alcool dans son appartement parisien lorsqu’un jeune garçon habillé en ciré de marin vient sonner à sa porte…
Damien, que beaucoup considère comme le simplet du village, prétend que son père et son frère ont péri dans un naufrage, dévoré par le Kraken… Dougarry le renvoie chez lui mais la mère de Damien vient à son tour le trouver pour lui demander de faire semblant d’aider son fils, monnayant finance…
Ses arguments font changer d’avis l’ex-présentateur qui se décide à se rendre sur place pour chasser le Kraken… Il va trouver un village de pêcheur en pleine crise économique, gangréné par d’antiques croyances et superstitions…
Emiliano Pagani fait montre d’un talent évident de conteur avec ce récit solidement charpenté qui glisse peu à peu vers le thriller, écartelé entre réalisme et fantastique sans que l’on sache vers quels récifs acérés son histoire va nous mener…
Avec une facilité désarmante, le scénariste parvient à installer une ambiance particulièrement malsaine, sur fond de crise économique. La raréfaction du poisson va pousser les habitants du village dans leurs pires retranchement : le rejet de l’étranger, le repli sur soi et sur les traditions d’un autre âge ou la recherche de bouc émissaire…
Emiliano Pagani met en scène des seconds rôles savamment travaillés qui accentuent subtilement la dramaturgie et font monter la tension jusqu’au twist scénaristique savamment orchestré qui fait basculer le récit dans l’horreur… Comme le souligne le triste héros involontaire du récit, « chaque époque a ses monstres à qui on doit sacrifier sa propre innocence contre un peu d’espérance »… Une sentence qui tombe comme un couperet…
Si le scénario est tellement poignant, le dessin de Bruno Cannucciari n’y est évidemment pas étranger. Son trait réaliste distille par petite touche un étrange et diffus sentiment de malaise qui va s’accentuant alors que l’atmosphère du village se fait de plus en plus étouffante jusqu’à ces scènes abominables qui font basculer le récit.
Son encrage soigné lui permet de mettre en scène des personnages très expressifs qui laisse suinter leur haine ou leur colère, accentuant le malaise alors que ses couleurs grises tirant vers le glauque agissent comme la musique inquiétante et oppressante d’un film et lui permettent un traitement saisissant des lumières et des ombres.
Avec un dessin en parfaite osmose du récit, Le Kraken est l’une des excellentes surprises de cette rentrée…
Sur fond de crise économique qui exacerbe les tensions et les haines, Emiliano Pagani tisse un récit glauque et dérangeant qui nous entraîne dans les replis ténébreux de l’âme humaine… Le remarquable travail graphique de Bruno Cannucciari et sa colorisation impeccable distillent une ambiance malsaine et oppressante de façon saisissante, mettant en scène des personnages inquiétants prompts à se laisser gagner par la haine et l’hystérie…
Kraken est un album inquiétant et parfaitement qui laissera durablement un sentiment diffus de malaise chez le lecteur…
- Mais l’essentiel est d’y croire non ?
- Non, l’important est d’affronter la réalité… et d’y survivre!Dialogue entre Damien et Dougarry