1630, Saint-Empire Germanique. La Guerre de Trente Ans ravage l’Europe, entraînant derrière elle un long cortège de famines, d’épidémies et de morts. Cologne est en proie à la pauvreté. Le prince-évêque Ferdinand de Bavière y règne en maître et s’est donné pour mission d’éradiquer les sorcières, brûlant sans vergogne des dizaines de femmes condamnées après un simulacre de procès.

Garance y travaille en tant que sage-femme dont le talent, les connaissances et les compétences sont unanimement reconnues. Elle s’applique à mettre en pratique enseignements d’Adélaïde tout en respectant scrupuleusement les préceptes de l’Eglise…

Mais sa vie va basculer le jour où sa route croise celle d’une jeune noble qui doit enfanter alors que son mari guerroie depuis plusieurs années… Garance devra choisir entre ses valeurs morales dictées par la religion et la compassion pour les femmes qui souffrent… Un choix lourd de conséquence alors que les bûchers s’allument dans la ville et que les sage-femmes sont la cible de l’Eglise…

Ce récit nous immerge dans le Cologne de la Guerre de Trente ans, un époque troublée, cruelle et violente où il ne faisait pas bon être femme, et moins encore sage-femme…

A travers le destin de Garance, une sage-femme soucieuse de suivre les préceptes de la religion même si le métier qu’elle exerce est de ceux qui la mettent face à des choix cornéliens, Benjamin Laurent nous décrit une société patriarcale oppressante où les femmes n’occupaient la place étriquée qu’on voulait bien leur accorder. Président aux mystères de la vie, les femmes étaient craintes et plus encore les sage-femmes dont le travail était de soulager leurs souffrances. Jusque-là, Garance n’avait commis aucun écart, arrêtant d’utiliser la belladone, son meilleur remède, lorsque l’Eglise l’exigea, inscrivant les naissances auprès des prêtres, même pour des couples illégitimes… Mais, par compassion, elle allait accepter de l’aider, mettant, sans le savoir, les doigts dans un engrenage implacable qui va la pousser entre les griffes de l’Inquisition…

Le procès à charge qui s’en suivra s’avère glaçant. Chaque réponse aux questions posées par l’inquisiteur allait être tordue pour servir l’accusation, comme si l’issue du procès était déjà établie et que tout n’était que simulacre… On voit mal comment l’intègre et dévouée Garance allait pouvoir échapper au bûcher qui se dresse déjà sur une place de Cologne… A moins qu’un coup de théâtre ne survienne, son sort semble scellé… Et coup de théâtre il y aura ! Un coup de théâtre tellement hallucinant qu’on peine à croire qu’il s’inspire d’un fait réel, comme l’explicite l’édifiant dossier figurant en fin d’album…

Après son superbe Baron Perché, adaptation de l’œuvre d’Italo Calvino, Claire Martin prête ses pinceaux à l’histoire de Benjamin Laurent. On tombe d’emblée sous le charme de ses couleurs chaleureuses et de ses personnages aussi expressifs qu’attachants. La dessinatrice parvient avec art à capter et retranscrire leurs émotions ou leur ressenti, esquissant un portrait somme toute assez crédible de chacun des protagonistes de l’histoire. Son trait souple et vivifiant atténue la noirceur du récit tout en retranscrivant celle de l’époque, avec cette chasse aux prétendues sorcières particulièrement glaçante… Au fil des pages, L’artiste parvient à rendre l’atmosphère oppressante qui descend sur la ville tandis que les arrestations se multiplient et que les bûchers s’embrasent…

L’Herbe du Diable nous entraîne au cœur du Saint-Empire Germanique pendant que la Guerre de Trente Ans bat son plein. Le Prince-Evêque de Cologne s’emploie à éradiquer les prétendues sorcières de sa ville… Garance y exerce comme sage-femme et, aux yeux de l’inquisition, les sage-femmes pactisent avec Satan. Bien que respectant scrupuleusement les préceptes de l’église, elle va se mettre dans une situation délicate en portant assistance à une noble femme en détresse…

Le dessin délicat de Claire Martin contraste avec la noirceur du scénario de Benjamin Laurent, retranscrivant avec art le ressenti des différents protagonistes mais aussi l’obscurantisme de ce siècle et cette société patriarcale qui jalouse et est effrayé par le pouvoir qu’ont les femmes de pouvoir enfanter. Le récit s’avère fort bien construit, avec en point d’orgue un procès en sorcellerie qui rend compte de l’injustice criante de ces réquisitoires menés exclusivement à charge et la façon dont les inquisiteurs détournent chaque parole de l’accusé pour étayer leur accusation…

Entraînant et se refermant sur un édifiant dossier qui éclaire le récit à l’aune de l’histoire, l’album témoigne d’une page peu glorieuse de l’histoire européenne et s’ancre dans un salutaire terreau féministe…

- Est-ce que… c’est fait ?
- Oui… Tu as manqué une bonne occasion d’apprendre.
- Je ne veux pas apprendre ! Tu m’as dit toi-même que seul Dieu peut détruire ce qu’il a créé ! Il ne pardonne pas ce genre de pêché !
- Garance, je comprends que tu sois bouleversé… Comme toi, j’ai d’abord refusé d’interrompre des grossesses. Mais j’ai vu tellement de jeunes femmes tenter de le faire elles-mêmes et en mourir que j’ai reconsidéré la question. Ecoute, je ne vais pas te forcer à pratiquer ce geste, mais laisse-moi au moins te l’enseigner. Observe de loin et souviens-toi. Un jour, je ne serai plus là pour m’en charger et ce sera à toi d’assumer cette responsabilité. Peut-être alors tu changeras d’avis.dialogue entre Garance et Adélaïde