La cité de Flot a perdu de sa superbe. Jadis, artistes, scientifiques et libres penseurs y furent tout-puissants mais l’utopie de cet îlot libertaire entouré d’océans déchaînés s’est effondré. Les rues sont devenues des coupe-gorges et le Comendador a disparu alors que ce qui reste d’artistes ayant travaillé pour lui sont enlevés…

Pourtant, un justicier parcourt les rues pour protéger les citoyens et défendre la sagesse et l’idéal de liberté des visionnaires fondateurs de la cité. Son nom ? Don Juan des Flot… Après avoir protégé l’épée à la main une gente dame des assauts de trois malotrus et avoir manqué de se noyer, il se réveille dans des draps soyeux avec à son chevet la séduisante Laura qui, intriguée par son don de lévitation, va requérir ses services pour retrouver le Comendador…

Maître de la cité, ce dernier pouvait accorder aux habitants un don auquel il associe un lourd tribut, puisant dans l’âme des élus l’instrument de leur propre châtiment… Pourtant, le don de Don Juan semble être dénué de toute contrepartie…

Quatre ans après le jubilatoire Dragon & Poisons, le tandem formé par Isabelle Bauthian et Rebecca Morse se reforme… pour notre plus grand plaisir !

La scénariste esquisse une fois encore les contours d’un univers singulier avec un récit d’action et d’aventure se déroulant dans une cité qui n’est plus que l’ombre d’elle-même… Conçu comme une comédie dramatique en trois actes, on retrouve dans ce qui fait le charme du théâtre, avec ces rideaux s’ouvrant la toute première planche et ces personnages charismatiques ou inquiétants mais toujours hauts en couleurs… L’autrice chevronnée parvient à donner des éléments permettant de comprendre l’âme de la cité, présenter les principaux personnages, de leur caractère à leurs aptitudes, tout en déroulant un récit entraînant qui ne laisse que peu de temps mort au lecteur… On s’attache d’emblée à ce Don Juan, beau parleur et comme il se doit très séducteur et qui incarne parfaitement la figure du héros désireux de redorer le blason de sa cité où règne désormais le chaos et le désordre. On appréciera cette étrange magie accordée avec parcimonie par le Comendador et la lourde contrepartie qu’il impose pour bénéficier de ce pouvoir, le lecteur s’interrogeant d’emblée sur l’étrange absence de contrepartie au don de Don Juan et sur la mystérieuse disparition de cet homme qui n’est pour l’heure qu’évoqué… Ajoutons à cela des dialogues rythmés et savoureux et le fait que le scénario mené sur un rythme endiablé s’achève sur un twist vertigineux qui frustre délicieusement le lecteur, et vous obtenez un premier tome aussi jubilatoire que très prometteur…

D’autant plus prometteur que la talentueuse Rebecca Morse sait y faire, tant pour composer les décors de cette étrange cité que pour animer ces personnages joyeusement décalés. Débordants d’énergie, découpage et ses cadrages sont d’un dynamisme entraînant qui vient accentuer la dramaturgie de chaque scène, les couleurs de Nicolas Viale jouant avec art avec la lumière pour les illuminer… Et il y a cette couverture, somptueuse, qui accroche le regard. La magnifique illustration de la dessinatrice est joliment mise en valeur par les talents de graphiste de la fascinante Noémie Chevalier dont le travail ne cesse de nous enthousiasmer ! Elle montre le héros, prêt à en découdre, alors que le rideau du théâtre s’ouvre sur les flots déchaînés et sur la pièce qui commence…

Nous frétillions d’impatience à l’idée de nous plonger dans la nouvelle série d’Isabelle Bauthian et Rebecca Morse tant nous avions apprécié leur jubilatoire et iconoclaste Dragon & Poisons… Et le fait est que nous n’avons nullement été déçu par le premier acte de cette comédie dramatique qui en comptera trois…

Cité libertaire fondée par de libres penseurs, des artistes et des sages, Flot a perdu de sa superbe. Livrées à elles-mêmes, ses artères et ses venelles sont abandonnées aux coupes jarrets sans que les soldats du Comendador ne cherchent à y mettre fin… Et pour cause ! Ce dernier a mystérieusement disparu, abandonnant la cité à de vulgaires spadassins tandis que les artistes de la ville ayant travaillé pour lui disparaissent mystérieusement l’un après l’autre…Heureusement, un homme se fait redresseur de tort et arpente Flot pour combattre le crime. Son nom ? Don Juan des Flots… Intrigué par ce jeune homme qui possède un don sans en avoir à payer la contrepartie, il attire l’attention de Laura qui va lui confier une unique mission : retrouver au plus tôt le Comendador avant que Flot de sombre dans un chaos sans nom…

Scénariste talentueuse, Isabelle Bauthian parvient une nouvelle fois à dépeindre un univers baroque et intrigant et à y faire évoluer une poignée de personnages aussi mystérieux qu’attachants et ce tout en déroulant un récit entraînant sur un rythme effréné. Les compositions dynamiques de Rebecca Morse renforcent avec art la dramaturgie de l’histoire, d’autant qu’elles sont joliment mises en valeur par les couleurs lumineuses de Nicolas Viale… Se refermant sur un twist vertigineux, L'Abuseur amorce un triptyque qui se place d’emblée sous les meilleurs auspices ! Et c’est peu dire qu’il nous tarde de retourner à Flot !

- Avez-vous entendu parler des disparitions qui secouent votre propre quartier depuis celle du Comendador ? Peintres, poètes… Tous avaient travaillé pour lui. Coïncidence ?
- Eh bien…
- Elucidez ce mystère et je vous laisse profiter de ma bibliothèque. Une seule mission, Juan. Puis vous déciderez. Rester ou partir. Mais j’ai confiance en ce que ma compagnie a à offrir…
- Cessez. Je suis charmé mais non abêti. Et peu sensible à la flatterie. Je suis, comme vos espions vous l’ont signalé, un sculpteur… remarquablement quelconque. Mais je n’en conçois nulle aigreur, car j’ai trouvé ma voie. Et vous ?dialogue entre Laura et Don Juan des Flots