Les histoires chorales, histoire mettant en scène de multiples personnages dans de multiples intrigues qui finissent par se rejoindre, ne sont pas choses communes en BD... Pourtant, force est de reconnaître que ce schéma narratif particulièrement subtil permet d'immerger le lecteur dans une histoire de la plus élégante des façons. Mais si le genre est largement sous exploité, c'est aussi et sans doute parce qu'il est difficile de bâtir une telle intrigue, de développer suffisamment les personnages pour les rendre crédibles et intéressant tout en conservant la fluidité nécessaire à ce type de récit.

C'est pourtant ce que Kieran et Ozanam parviennent à faire avec brio avec le premier tome du diptyque We are the Night. Mêlant une foule de personnages hétéroclites qui pour la plupart ne se connaissent pas (chauffeur de taxi, flics, femme infidèle, mari jaloux, amant, vendeuse subissant la tyrannie d'une patronne acariâtre, paumée suicidaire, veilleur de nuit alcoolique, braqueurs amateurs, jeune fille subissant la pression familiale...), les auteurs parviennent en quelques cases à poser des personnages à la fois denses et crédibles. Si certains caressent l'espoir d'un avenir meilleurs, poursuivant un rêve qui risque de tourner au cauchemar, d'autres sont englués dans un quotidien trop lourd ou rongé par la routine... Hasard ou destin, leurs vies vont se télescoper et il n'est pas sûr que beaucoup en sortent indemne.
La couverture, évoquant un miroir brisé reflétant dans ses multiples facettes les différents protagonistes de l'histoire, laisse augurer un dénouement tragique pour nombre d'entre eux...

Les transitions entre les différents personnages et intrigues ont été particulièrement soignées avec l'utilisation d'un langage très cinématographique. La caméra s'attarde sur l'un d'eux, avant de glisser sur une voiture qui passe pour s'intéresser à ses occupants avant de filer vers un autre marchand sur le trottoir... Ainsi, malgré un nombre de protagoniste conséquent, le récit est d'une rare fluidité. On passe d'un personnage à un autre sans heurt et sans se perdre dans les méandres de ces multiples intrigues que tissent les auteurs. La lecture de l'album s'avère extrêmement ludique, le lecteur assemblant les différentes pièces du puzzle éclaté que constitue chaque personnage. Du grand art!

Le style de Kieran, qui signe à ma connaissance son premier album, est des plus prometteur. Son travail sur la couleur et son vocabulaire graphique très cinématographique confère au récit son dynamisme et sa fluidité.

We are the Nigth est une petite perle inattendue, un polar des plus prometteurs dont on attends la conclusion avec une impatience jubilatoire...