Dès le premier tome, l’Etoffe des Légendes a conquis un large lectorat. Comment rester insensible au charme régressif de cette histoire magistralement écrite par Mike Raicht qui explore et revisite les peurs enfantines pour créer un conte plein de poésie et de cruauté.

Tout a commencé dans la chambre d’un enfant à Brooklyn en 1944. Le Monstre du Placard existe bel et bien et se nomme croquemitaine. Une nuit, il enlève l’enfant et l’entraîne de l’autre côté de la porte, dans son univers baptisé le monde de l’Obscur, contrée dans laquelle les jouets adoptent la personnalité que les enfants leur confère par le truchement de leur imagination fertile et foisonnante, s’humanisant et devenant beaucoup plus réaliste, mais aussi plus inquiétants. Les jouets de l’enfant décident de passer de l’autre côté pour retrouver leur petit maître, amorçant une aventure fantastique envoutante pleine de magie et nostalgie, d’amitiés et de trahisons. Suite aux révélations fracassantes du tome 2, le Bouffon, guidé par l’Amour, s’embarque dans une quête solitaire qui le mènera découvrir des régions inexplorées de l’Obscur. Durant son périple, il découvrira une armée de poupée aux allégeances incertaines alors que son double, animé par une folie vengeresse, entre dans la partie…

L’omniprésence malsaine du croquemitaine se fait plus discrète dans cet album, laissant le premier rôle au Bouffon et au Spectre, son double aussi sinistre qu’inquiétant, qui a dérobé au Croquemitaine un puissant artefact. La narration parallèle menée avec un talent évident par Mike Raicht permet de suivre les différents protagonistes de l’intrigue, depuis que le groupe a éclaté, sans oublier bien sûr le petit maître, parti à bord d’un train en partance pour le territoire des indiens, en compagnie d’un autre garçon perdu dans l’Obscur.
On se laisse une fois de plus happer par ce conte cruel et poétique servit par un dessin très expressif de toute beauté. Le trait nerveux et dynamique de Charles Paul Wilson III est d’une rare expressivité et ses jouets qui prennent vie dans l’Obscur sont parfaitement convaincants. La colorisation sépia accentue l’aspect délicieusement nostalgique de l’histoire, tout en accentuant sa noirceur… L’album est d’autant plus élégant qu’il a fait l’objet d’un soin tout particulier de la part de l’éditeur avec son format carré atypique et l’élégante couverture au vernis sélectif.


En faisant appel aux peurs enfantines et au rapport étrange qui lie les enfants à leurs jouets, Mike Raicht a concocté une fresque fantastique envoûtante et captivante, nullement destinée à un jeune public de par sa noirceur intrinsèque et sa cruauté latente. Le cliffhanger final recentre le récit de façon saisissante et la suite promet d’être des plus passionnants… Disney ayant acquis les droits de la série nous ne pouvons qu’espérer que le réalisateur chargé du projet saura conserver la noirceur de l’histoire originelle, sous peine de dénaturer totalement cette œuvre magistrale. Quoi qu’il en soit, l’Etoffe des Légende est une œuvre unique et inclassable