Dans le genre western, Bouncer s’est rapidement imposé comme une série majeure du neuvième art grâce à la savoureuse alchimie qui opère entre l’exubérant provocateur qu’est Alejandro Jodorowsky et le dessinateur talentueux et inspiré qu’est François Boucq. Si on y retrouve les obsessions du scénariste chilien pour la violence exacerbé, le sexe tendance sado-maso, la folie furieuse et la mutilation, il semblerait que son complice François Boucq soit parvenu à canaliser les scénarios débridés de Jodo, conférant à Bouncer une saveur toute particulière.

Nous avions laissé le Bouncer dans une bien fâcheuse posture dans le tome précédent. Pour que la mort de Sakayawea ne reste pas impunie, il n’a pas hésité à se rendre dans l’enfer du pénitencier de Deep-End où vit le sadique et pervers Pretty John, fils du non moins sadique directeur de la prison. Construite au cœur d’un désert aride infesté de crotales, le pénitencier suit ses propres règles, réunissant entre ses murs la plus belle bande de salopards de l’ouest qui vit sous la coupe du diable en personne, le père de Pretty John. Revenir de l’Enfer ne sera pas chose aisé pour le Bouncer, surtouts que les geôles du bien nommé Deep-End recèlent de sombres et inavouables secrets…
Boucq et Jodorowsky semblent prendre un plaisir jubilatoire et communicatif à mettre en scène ce héros de western iconoclaste et atypique qui tient plus du western spaghetti version hallucinée que des héros lisses de John Ford. Manchot né sous une mauvaise étoile d’une mère prostituée et d’un père indien, il se sert de son poing et de ses colts avec un évident talent. Il fut bourreau avant de devenir tenancier de bar, celui-là même où Sakayawea fut tué alors qu’imbibé d’alcool, il disputait une partie de poker à quelques pas de là… Faisant fi du réalisme au profit de l’efficacité narrative, les auteurs nous entraînent dans les sombres et inquiétants recoins de l’âme humaine, corrompue par le vice et la perversité. Si le Bouncer, héros à l’âme et au corps meurtris, est loin d’être un ange, les méchants qui hantent chacune de ses aventures ont érigé leur perversité et leur dépravation à l’état d’art. On retrouve la figure du prêtre malsain si chère au scénariste à travers les sinistres Skulls qui se lancent sur les traces des évadés de Deep-End pour une poursuite qui devrait faire date…

Alejandro Jodorowsky s’appuie sur les clichés du western pour mieux les dynamiter. Son scénario, tout à la fois jouissif, excessif et violent, est parfaitement assumé. Le dessin de François Boucq fait une fois encore la part belle aux décors qui fourmillent de détails. La nature hostile semble sous ses pinceaux être un personnage à part entière. Sa mise en scène, très théâtrale, entre en résonnance avec l’aspect « too much » du scénario de Jodo de façon saisissante. Ses personnages cabossés par la vie, meurtris dans leurs âme et dans leur chairs, forment une galerie de personnages édifiante qui contribue à poser cette ambiance si particulière qui pèse sur chaque nouvel album du Bouncer.
Ce retour de l’enfer est un excellent opus du Bouncer, un western frénétique, excessif, violent et dérangeant mais ô combien jouissif… A lire, mais à ne pas mettre entre toutes les mains!