Après le bouleversant
Lydie et la revigorante
vieille dame qui n'avait jamais joué au tennis et autres nouvelles qui font du bien, Zidrou et Jordi Lafebre remettent le couvert avec
La Mondaine, qui se propose d’esquisser le quotidien de la Brigade des Mœurs dans les années 30…
Si l’album s’ouvre et se referme dans un abri en avril 1944 lorsque la Royal Air Force bombarde Paris, l’action se noue en 1937, alors que le jeune Aimé Clouzeau, lassé d’enquêter sur les meurtres crapuleux dont a la charge la Brigade Criminelle, obtient sa mutation à la Brigade des Mœurs, appelée alors la Mondaine. Il gagne le célèbre 36 quais des Orfèvres pour se mettre sous les ordres de l’Inspecteur Principal Séverin, adepte de la petite reine… Il va alors découvrir la face cachée de la troisième république qui n’hésite pas à utiliser la Brigade des Mœurs pour mettre à jour les frasques sexuees d’hommes politiques et s’en servir contre eux. Les perversions insoupçonnées qui sont le quotidien des policiers de la Mondaine semblent peu à peu déteindre sur les policiers… Il suffit de de voir Aimé Clouzeau en 1944, sept ans après son affectation, pour comprendre que le jeune homme timide et innocent qui entra à la Brigade des Mœurs en 1937 n’est plus… Que s’est-il donc passé ces sept années, pour qu’il devienne cet homme qu’on devine cynique et désabusé ?
C’est avec un réel plaisir qu’on retrouve Zidrou dont on avait adoré
la Peau de l’Ours (dessiné par Oriol et paru chez Dargaud), ses
Folies Bergère (mis en image par Francis Porcel) ou son saisissant
Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre qui donc lui reprisait ses chaussettes ? (dessiné par Roger, toujours chez Dargaud). Plus qu’un polar,
La Mondaine est une tranche de vie saisissante du Pari6s hors lumières de l’avant-guerre, une plongée en eaux troubles portées par des personnages savoureux et finement ciselés… A commencer par celui d’Aimé, fils d’un prêtre défroqué qui vécut une intense passion avant de sombrer dans la folie. Ce personnage complexe et tourmenté, à fleur de peau sur certains sujet, confronté aux sombres et tortueux instincts de l’humanité est traité avec une tendresse, une délicatesse et une justesse confondante.
Il faut dire qu’il est difficile de ne pas tomber sous le charme du dessin semi-réaliste de Jordi Lafebre. Son trait, tout en délicatesse, souligne à merveille les différentes ambiances du récit tout en faisant la part belle aux sentiments éprouvés par les différents protagonistes. La réaction d’Aimée lors de sa rencontre avec la jeune et troublante « artiste » du cabaret flottant le Zoothrope est formidablement bien mise en scène. De même que la séquence où Aimé retrouve son père sorti de l’asile pour regagner le domicile familial, tout à la fois bouleversante et superbement mise en image avec une inventivité saisissante. Sa colorisation tirant vers le sépia et évoquant les photos d’époque immerge le lecteur dans le Paris de l’entre deux guerre avec une appréciable efficacité.
La Mondaine est le début d’un diptyque particulièrement prometteur qui tient du Maigret de Georges Simenon, l’humour, le burlesque et la sensualité en plus. A l’instar du célèbre commissaire (qui est lui-même passé à la mondaine), les personnages sont tous en clair-obscur, ni bon ni mauvais, juste profondément humain…