Après un premier tome époustouflant, Emmanuel Herzet, Xavier Dorison et Cédric Babouche nous livrent la conclusion de leur récit historique qui parle du destin de cette poignée de soldats qui décidèrent de déserter pour porter un message aux députés…
Contrairement à ce que pense leur hiérarchie, le lieutenant Katzinski et ses hommes ne sont pas des lâches. Ecœuré par l’incompétence criminelle de leurs supérieurs, ils ont décidé de déserter, par pour fuir les combats, mais pour aller porter à la chambre des députés la pétition de la côte 108, dénonçant la folie du général Nivelle. Ce ne sont pas des héros, juste des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses, des hommes qui s’accrochent au fol espoir d’être écouté et entendu, tout en sachant au fond d’eux l’issue fatale de leur combat…
Emmanuel Herzet et Xavier Dorison signent avec ce diptyque un récit plein d’humanité. Au travers le destin fracassé de cette poignée de soldat qui se sacrifie pour faire éclater leur vérité, il rouvre une page sombre de notre histoire, celle qui, après trois ans de conflits meurtriers dans la boue des tranchées, vit des mutins refuser d’exécuter les ordres insensés de leurs supérieurs. Portant les stigmates de la guerre sur son visage, le commandant Morvan traquant impitoyablement les mutins qu’il considère comme des lâches et de vulgaires déserteurs est une némésis particulièrement convaincante…
Difficile de rester insensible à cette histoire rythmée qui prend le temps de développer des personnages riches et denses et de ménager une parenthèse presque poétique, comme un havre de paix avant que la tempête ne se déchaîne… Chacun des protagonistes porte en lui sa part d’ombre et de lumière, qu’ils soient mus par le sens du devoir, leur instinct de survie ou le sentiment de servir une juste cause, de celle qui vaut qu’on lui sacrifie sa vie… Par leur profonde humanité, chacun d’entre eux s’avère attachant et leur destin souvent tragique particulièrement bouleversant…
Le dessin de Cédric Babouche est formidable de dynamisme. Grand admirateur de Miyazaki (comment ne pas l’être?), le dessinateur emprunte au manga ses visages expressifs et délicieusement caricaturaux, faisant naître une incroyable émotion qu’il distille à la pointe de ses pinceaux et qui donne toute leur humanité aux personnages et toute sa force au récit… Son trait nerveux et son sens du mouvement virtuose impulsent une vivacité saisissante à ses planches alors que ses aquarelles éclairent chacune des scènes d’une lumière savamment travaillée qui souligne à merveille le propos. Son travail est tout simplement magnifique et d’autant plus impressionnant qu’il signait avec Déjà morts demain, premier tome du
Chant du Cygne, son tout premier album…
Lancé dans cette folle course en avant, le lieutenant Katzinski et ses hommes ne demandaient pas grand-chose… Qu’un seul les entende aurait suffi à donner un sens à leur combat… Mais les dés étaient pipés : c’est la politique qui gouverne, pas l’héroïsme… Pourtant, le sacrifice de ces hommes, qui étaient tout sauf des lâches, leur a permis de redresser la tête et de prendre en main leur destin, avant leur dernier chant, leur chant du cygne…
Ce dyptique rend hommage à tous ces hommes longtemps oubliés par l‘Histoire et qui ont, avec leurs maigres moyens, tenté de dénoncer l’incompétence et l’aveuglement de l’Etat-Major qui envoiyait au casse-pipe des milliers de soldats sans réels enjeux stratégiques…
Le Chant du Cygne fait indéniablement partie de ces albums, superbes, qui vous rappellent pourquoi vous aimez la bande-dessinée…
(*) «On dit qu'au moment de mourir les cygnes font entendre un chant admirable», Pline l’ancien.