



Avec
L'heure des lames, Rob Davis, auteur du sublime
Don Quichotte, nous livre un album pour le moins atypique dont qu’il est presque impossible de présenter tant l’univers esquissé par l’auteur ne ressemble à rien de connu…
Dans le monde étrange et décalé de l’Heure des lames, ce sont les enfants qui font les parents, qui les fabriquent même plutôt… Dans ce monde atypique, il pleut des couteaux et les appareils électroménagers sont des dieux. On n’y fête pas son anniversaire, mais on connaît le jour de sa mort…
Scarper Lee est un ado qui n’a plus que trois semaines à vivre… C’est à ce moment que Véra Pike, nouvelle élève du bahut, débarque dans sa vie avec la ferme intention de changer son destin…
Dès les premières planches, l’auteur nous fait perdre pied, développant au fil des pages un univers baroque et étrangement décalé, sorte d’allégorie de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. Mais si l’univers s’avère dense, et foisonnant, l’histoire semble nous échapper, ne sachant pas trop bien par quel bout l’attraper.

Scarper est donc un mort en sursis… Asocial taciturne, il semble accepter résigné cette mort annoncée et connue de tous. Son père est une machine monstrueuse qu’il garde enchaîné dans la grange alors que sa mère est un sèche-cheveux en bakélite plutôt peureuse… Mais, un jour de pluie (de couteaux), Véra va sonner à sa porte et venir dérégler cette belle mécanique, le poussant hors de sentiers battus, l’incitant à s’interroger sur le sens de cette vie étrange et de cette mort programmé… l’obligeant au final à revoir toute sa conception de la vie, ses rapports aux parents et aux (étranges) règles établies…
Le lecteur se sent un peu comme un adolescent, perdu dans un monde dont il ne comprend pas (encore) tous les codes, avec ce mur qui tôt ou tard se dresser sur sa route, celui de sa mort en tant qu’enfant qui le fera, pense-t-il, basculer dans l’âge adulte… L’atmosphère totalement surréaliste qui baigne le récit nous incite à voir le monde par les yeux de Scarper, qui l’accepte sciemment malgré ses incohérences et ses zones d’ombre… On songe au
1984 d’Orwell et à tous ces mots-concepts qui définissent une réalité étrangement distordue…

Bien qu’éloigné de ses précédentes œuvres (de
Judge Dredd dont il fut le dessinateur en passant par son fabuleux
Don Quichotte), le dessin de Rob Davis apparait comme une évidence. Son trait charbonneux esquisse les contours d’un univers joyeusement barré mais possédant cette étrange (et improbable!) cohérence…
L'heure des lames est un album éminemment surréaliste et totalement atypique qui immerge le lecteur dans l’univers dérangeant et distordu vu par les yeux d’un adolescent asocial qui vit ses dernières heures…
Chargé de symbole, ce récit allégorico-métaphorique de Rob Davis déstabilisera plus d’un lecteur et nombreux s’interrogeront, hésitant entre taxer l’album de chef d’œuvre ou d’enfumage… Pour ma part, je reste étrangement dubitatif : il me semble avoir beaucoup apprécié le récit, subtilement rythmé par le temps qui s’écoule, inexorablement… sans être pourtant capable d’en expliciter clairement les raisons… En conclusion, L'heure des lames est une expérience de lecture étrange et dérangeante et par la même absolument incontournable…