La couverture de l’album attire d’emblée le regard. Superbement dessinée par José Ladrönn qui a déjà signé avec le chilien Alexandro Jodorowsky des spin-off de l’Incal, elle offre d’emblée un visuel puissant pour cette série qui fait directement suite au western mystique sorti sur les écrans il y a pas loin d’un demi-siècle…

El Topo fut un pistolero sanguinaire qui par amour défit les Quatre Maîtres du Désert avant de devenir un saint à même d’accomplir de grands miracles. De deux femmes différentes, il eut deux fils. Caïn, fils maudit, s’est jurer de tuer son père à qui il n’a jamais pardonné de l’avoir abandonné... Mais, incapable d’accomplir sa vengeance et de tuer son père, il la reporte sur Abel, son demi-frère...

Les années ont passée. La Tombe d’El Topo est devenu un sanctuaire ou viennent en pèlerinages tout ce que l’ouest sauvage compte de culs-bénits. Caen vient dans le sanctuaire pour sommer son père d’effacer la marque du sceau de l’infamie qui oblige quiconque à détourner le regard et à ne pas le voir, le condamnant à une existence de fantôme…

Les Fils d’El Topo s’ouvre en reprenant les dernières scènes du film, chef d’œuvre étrange et dérangeant chargé de symbolisme et de mysticisme et dans lequel on trouvait déjà ce qui caractérise l’œuvre de Jodorowsky : l’anticléricalisme, une fascination malsaine pour le sexe, la violence, l’hémoglobine et la mutilation…
Comme il le souligne dans la préface, le réalisateur chilien a longtemps souhaité tourner la suite de ce film oscillant entre le western spaghetti et le surréalisme gore… Mais, faute de financement, il avait dû renoncer. Le neuvième art lui donne la possibilité de donner corps à son scénario… Pour ce faire, José Ladrönn lui prête à nouveau ses crayons et ses pinceaux…

Et le fait est que son trait puissant s’avère être remarquable de maîtrise. A l’instar de la superbe couverture, les planches de l’album sont de toute beauté. Le découpage nerveux et percutant emprunte au vocabulaire cinématographique, offrant des visuels aussi vertigineux et saisissant. Son travail graphique bluffant justifie à lui seul la lecture de l’album.

Alexandro Jodorowsky prête à nouveau ses traits à El Topo qu’il incarna à l‘écran dans le film qu’il réalisa en 1969. Le premier tome de cette série qu’il consacre aux fils de ce pistolero devenu saint paraît plus abordable et moins hallucinée que l’œuvre originale que le créateur chilien eut tant de mal à projeter et pour lequel il inaugura les « midnight movies », œuvres dérangeantes qui mettaient à bas les conventions de l’époque…

Graphiquement somptueux, Caïn inaugure une trilogie qui revisite le mythe biblique de Caen et Abel à la sauce jodorowskienne… Ce premier tome des Fils d’El Top fait souffler un vent de modernité salutaire sur une œuvre mystique et dérangeante peut-être trop daté car ancré dans son époque… Comme souvent avec les albums scénarisés par Alexandro Jodorowsky, on hésite entre l’envie de crier à la folie furieuse ou au pur génie, deux facettes d’une même pièce… Le plus simple est sans doute de se faire sa propre idée…