On pouvait penser que
Petit, petit chef d’œuvre d’inventivité graphique et scénaristique, était un one-shot… Fort heureusement, il n’en est rien… Hubert et Bertrand Gatignol nous entraînent une fois encore dans cet univers de conte de fée cruel et sanglant pour une histoire se déroulant parallèlement à leur précédent récit…
L’histoire prend place dans un univers de style renaissance-gothique où le royaume est dominé par les Ogres-Dieux. Les Nobles-Nés gouvernent en leur nom et une poignée de familles se partagent le pouvoir…
Yori est le fils bâtard du roi et d’une favorite, prostituée de haut vol… Son intelligence hors norme lui attire les foudres de ses demi-frères, fils légitimes du souverain. Alors qu’il l’aime tendrement, le monarque décide de confier son bâtard à une autre famille mais sa mère refuse catégoriquement d’en être séparé. Tous deux doivent quitter le palais et échouent dans les bas-fonds de la capitale.
Prêt à tout pour protéger sa mère, et désireux de conquérir le pouvoir, Yori Draken entame une longue ascension qui le hissera au sommet du pouvoir et le fera côtoyer les Ogres-Dieux qui vivent sur la montagne surplombant la cité… Mais, aveuglé par son ambition, ne risque-t-il pas de perdre son bien le plus précieux et de devenir semblable à son père et aux Nobles-Nés qu’il exècre tant?
Avant même que de se lancer dans la lecture de l’album, d’être happé par ce conte cruel et amoral, avant de se laisser envoûter par ses dessins sublimes et stylisés, c’est d’abord le livre en lui-même qui attire l’attention. Superbement édité, il capte le regard par son format atypique tout d’abord et par cette somptueuse couverture mate et son titre gaufré écrit en lettre d’or. En feuilletant, la qualité du papier, ces gravures et ces textes émaillant le récit, la maquette somptueuse et l’usage d’une encre dorée pour les pages de garde font de ce titre un livre-objet magnifique évoquant un tirage de tête tant grand a été le soin apporté à cette présente édition…
Hubert renoue avec la cruauté originelle des contes de fées, puisant à la source des terreurs enfantines pour créer un univers très hiérarchisée où un système de caste en apparence immuable régit les rapports entre les différentes strates de la société. Au sommet de la pyramide les Ogres-Dieux, créatures terrifiantes d’une force surhumaine et d’un appétit insatiable. Sûrs de leur toute puissance, ils ne s’abaissent même plus à régner, déléguant leur pouvoir aux Nobles-Nés, dirigés par un Chambellan, titre prestigieux et oh combien dangereux puisque soumis aux nombreux caprices des Ogres-Dieux.
Ce nouveau conte met en scène Yori, un jeune homme arriviste croisé dans le premier tome… Vif et intelligent, injustement chassé du palais de son père, il n’aura de cesse que de gravir les échelons le séparant du pouvoir suprême de Chabellan, pour prendre sa revanche sur ce père qui les a rejetés, lui et sa mère. Rongé par une ambition dévorante, il ne reculera ni devant les trahisons, ni devant les compromissions, sacrifiant tout pour s’élever, devenant s’en sans rendre compte tout ce qu’il déteste alors que son humanité s’en va en lambeaux… Si le premier tome faisait la part belle aux Ogres-Dieux, celui-ci met le focus sur les Nobles-Nés, caste dominante des humains, serviteurs zélées de leurs cruels maîtres…
Graphiquement, le premier tome était tout juste sublime. Ce second l’est plus encore, si tant soit est que cela soit possible. On retrouve avec un réel plaisir le trait de Bertrand Gatignol dont la maîtrise du noir et blanc est saisissante. Rehaussé d’ombres grises, son travail est doté d’un style fort et affirmé. Ses décors foisonnant de détails s’avèrent être d’un grand raffinement et d’une rare élégance alors qu’il dépeint avec une justesse désarmante les émotions qui animent ses personnages. Ses cadrages vertigineux qui donnent la mesure de l’énormité des ogres confèrent à ses planches une force peu commune…
C’est en gourmet que l’on replonge dans l’univers baroque et foisonnant des Ogres-Dieux. Magnifiquement édité et somptueusement mis en image par Bertrand Gatignol, ce conte gothique, cruel et amoral signé Hubert fait partie de ces albums incontournables qui nous font aimer la BD.
On suit avec un plaisir glaçant l’ascension de ce jeune arriviste prêt à tout pour s’approcher du pouvoir et se venger des Nobles-Nés, au risque d’y perdre une part de son âme…
Que dire de plus sinon que nous attendons avec impatience le prochain conte se déroulant dans ce Royaume où les cruels Ogres-Dieux règnent en maître?