Bruxelles, 1960. Dans l’optique de vendre sa maison pour aller vivre dans un appartement plus petit, la mère de Kathleen lui demande de l’aide pour faire le tri parmi ses affaires… Au grenier, dans une vieille malle poussiéreuse, elle retrouve des vieilles planches de bande-dessinée satyrique qui font remonter en elle des souvenirs enfouis…

1943. Du haut douze ans, Kathleen ne comprends pas grand-chose à la guerre. Son père, kiosquier place de Bouckère, est passionné de bande dessinée et, un jour, Bob, un ami dessinateur, lui montre quelques strips qu’il a réalisé et qu’il souhaite publier dans un journal de la Résistance. Mais, s’il l’ignore encore, Bob est surveillé par un rexiste, un mouvement collaborateur d’inspiration fasciste. Alors que les dénonciations et les rafles se multiplient, Bruxelles est bombardée par les alliés, causant de nombreuses victimes civiles…

Kathleen et ses amies échappent au bombardement du 7 septembre 1943, sans savoir que cette tragédie allait marquer l’amorce d’un terrible engrenage…

Après nous avoir entraîné dans le Bruxelles de l’Exposition Universelle de 1958 qui vit la capitale du royaume de Belgique se parer de son Atonium puis dans Léopoldville alors que se jouait le destin du Congo Belge, Patrick Weber et Baudouin Deville nous entraînent à présent dans le Bruxelles occupé en 1943, conservant comme il se doit le personnage de Kathleen comme fil rouge, bien qu’elle soit ici plus spectatrice qu’actrice…

L’album immerge avec art le lecteur dans les années noires de l’occupation, esquissant le portrait d’une ville déchirée entre résistance et collaboration à travers une galerie de personnages archétypaux balayant un spectre allant du résistant au plus abject des collaborateurs. Mais l’intérêt de cet album est, doublement, ailleurs…

D’une part, il s’intéresse à ce fameux faux numéro du Soir publié le 9 novembre 1943 en lieu et place du Soir volé, comme les belges se plaisaient à appeler le journal alors aux mains des collaborationnistes… L’incarnation même de l’humour belge qui utilise le rire et la dérision comme d’une armes affûtée. D’autre part parce que le récit s’intéresse au neuvième art et que Edgar P. Jacobs et un certain Georges Remi y jouent les seconds rôles… Ce sont d’ailleurs des planches de bd qui servent de MacGuffin au récit et de prétexte pour nous immerger dans Bruxelles en guerre. Patrick Weber a trouvé le parfait équilibre entre véracité historique et dimension romanesque, tissant une histoire entraînante tout en offrant un aperçu détaillé de cette sombre époque…

Il faut dire que Baudouin Deville fait montre d’une parfaite maîtrise de son trait, conférant à l’album un charme délicieusement désuet. Rendant hommage à la ligne claire et aux maîtres que furent Hergé ou Jacobs, il compose des décors saisissant que tout amoureux de Bruxelles reconnaîtra aisément et appréciera à leur juste valeur…

Patrick Weber et Baudouin Deville continue de nous raconter l’histoire contemporaine de la Belgique à travers le destin de Kathleen. Avec ce nouvel opus, ils nous entraînent au cœur du Bruxelles occupé pour un récit romanesque gravitant autour de la bande-dessinée et du fameux numéro pirate du soir dont la publication est un acte de résistance jubilatoire et héroïque injustement méconnu de ce côté des Ardennes…

S’appuyant sur une solide documentation historique et iconographique, les deux auteurs reconstituent avec un soin tout particulier l’atmosphère oppressante qui devait régner alors que la ville était écartelée entre collaboration et résistance…

Un récit captivant autant qu’édifiant qui ravira les amateurs du neuvième art comme les amoureux de Bruxelles…

- Tu reconnais le petit moustachu ?
- Adolf ? Alors là… Tu y vas très fort ! Tu n’as vraiment peur de rien, toi !
- Tu ne trouves pas cela drôle ?
- C’est très rôle ! Et ton dessin s’améliore encore… Mais c’est dangereux ! Tu ne trouveras jamais un illustré pour te publier ! Même une gazette de la Résistance n’oserait pas !
- Effectivement, Fernand ! Je me doutais déjà que le Soir Volé n’allait pas m’accueillir à bras ouvert !dialogue entre Bob et Fernand

(*) en référence à une chanson de Brassens