Haut de page.

Un travail comme un autre
Un travail comme un autre



Fiche descriptive

Roman Graphique

Alex W. Inker

Alex W. Inker

Alex W. Inker

Sarbacane

27 Mai 2020


28€

9782377314027

Chronique
Un travail comme un autre
Du côté de chez Steinbeck

Alabama, 1920, Roscoe T Martin est fasciné par cette force plus vaste que tout qui se propage avec le nouveau siècle : l’électricité. Il s’y consacre, en fait son métier.

Un travail auquel il doit pourtant renoncer lorsque Marie, sa femme, hérite de l’exploitation familiale. Année après année, la terre les trahit. Pour éviter la faillite, Roscoe a soudain l’idée de détourner une ligne électrique de l’Alabama Power.

L’escroquerie fonctionne à merveille, jusqu’au jour où son branchement sauvage coûte la vie à un employé de la compagnie… La cellule d’un pénitencier, la décomposition d’un mariage, la terre impitoyable…
un chef d'oeuvre!


Du côté de chez Steinbeck
Un travail comme un autre, planche de l'album © Sarbacane / InkerAlabama, années 1930. Les petits paysans sont à la merci d’une mauvaise récolte ; ils ont besoin de main-d’œuvre mais peuvent à peine la payer. Ils s’endettent et souvent voient leurs terres confisquées pour payer leurs traites et finissent fréquemment sur les routes, en quête d’un travail ou d’un autre.
Roscoe T. Martin est l’un de ceux qui vivotent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Il est devenu agriculteur à la suite de son mariage, mais a une formation d’électricien et ce qui le fait rêver c’est la fée électricité. C’est à contrecœur qu’il a repris la ferme de feu son beau-père et cette frustration rejaillit sur sa vie de famille. Il s’adonne à la boisson, devient violent, délaisse l’exploitation.
Un jour, il lui vient une idée qui réconcilie sa passion pour l’électricité et ses devoirs envers sa ferme et sa famille. Il décide d’électrifier l’exploitation en se raccordant illégalement au réseau de la compagnie d’électricité d’Alabama. Ceci lui permettrait de ne plus embaucher de journaliers, d’augmenter ses rendements et de proposer ses denrées sur les marchés avant les autres. Il met son plan à exécution, réalise quelques travaux, s’endette auprès d’un commerçant local pour acheter le matériel et réussit au-delà de ses espérances : il récolte rapidement, écrase ses concurrents et retrouve l’admiration de sa femme. Mais son raccordement provoque accidentellement la mort d’un homme et c’est le début d’une descente aux Enfers …


Une adaptation tout en sobriété
Après sa brillante adaptation du roman chinois « Servir le peuple », Alex W. Inker s’attelle à un autre texte : celui de l’américaine Virginia Reeves. L’histoire se déroulait dans les années 20, il choisit de changer légèrement l’époque en la décalant de 5 ans et en la plaçant dans les années 1930 au moment de la Grande Dépression. En le feuilletant, on y trouvera un air de Steinbeck et des « Raisins de la colère ».

Un travail comme un autre, planche de l'album © Sarbacane / InkerLa couverture avec ses gros plans sur des visages permet d’aborder plusieurs thèmes : la Grande Dépression, les différentes classes sociales, la condition ouvrière, elle est assez « flash » et met d’emblée en avant le graphisme choisi (semi réaliste voire un peu burlesque).

La mise en page est variée mais sobre. On passe de pages de 3 à 9 vignettes de forme bien symétriques et séparées par une gouttière à des pleines pages semblables à de belles illustrations. Nombre d’entre elles sont muettes, le dessin se suffisant à lui-même.
La narration de ce one shot est très fluide. Le récit est linéaire et fonctionne sur les ellipses. L’ellipse la plus importante (entre la rencontre et le délitement du couple six ans plus tard) est même matérialisée par une page monochrome.

Ce n’est pas un album bavard : pas de récitatifs, dialogues parcimonieux (mais toujours justes) et de nombreuses pleines pages ou planches muettes. On notera d’ailleurs qu’Inker a transformé la relation existant entre Roscoe et son métayer noir car elle était beaucoup trop fraternelle (tutoiement)dans la traduction. Ici la hiérarchie est bien respectée.

L’envers du rêve américain
Tout commence comme dans une comédie des années trente : Roscoe virevolte, marivaude et séduit. On pourrait croire à une œuvre joyeuse vantant l’ « American dream » et un pays de profusion où tout est possible mais cette rêverie se brise littéralement sur la seule page monochrome de l’album et l’itinéraire du héros va nous plonger bien au contraire dans l’ « American nightmare» !

Un travail comme un autre, planche de l'album © Sarbacane / InkerAlex Inker raconte qu’il a été séduit par l’œuvre de Virginia Reeves grâce à l’histoire d’amour entre Roscoe et Mary. Celle-ci est très subtilement rendue tant dans le coup de foudre que dans son délitement. Il a d’ailleurs choisi de doter le protagoniste de ses propres traits et de donner à Mary et Gerald ceux de sa femme et son fils. Il en fait une histoire très personnelle qui favorise l’empathie avec le personnage de Roscoe présenté de façon très humaine. On le voit avec ses défauts (l’alcoolisme et la violence nés de sa frustration) mais on ne peut s’empêcher de le plaindre en voyant qu’il est obligé de mettre de côté ce qu’il aime (l’électricité) pour faire vivoter la ferme de son beau-père. Il doit sauver son couple mais aussi sa ferme : finalement la tâche est trop grande…. C’est un antihéros. Sa destinée est emblématique de bien d’autres. Là aussi tout est suggéré et rien n’est asséné.

Si la première partie met en scène la grande dépression, la majorité de l’œuvre se passe dans l’univers carcéral et en constitue une critique (un peu comme « l’Accident de chasse » qui se déroule à la même période) par sa description des gardiens brutaux et stupides et des codétenus assassins : y survivre y apparait plus dur que de subir la Crise. Le seul espace de liberté, comme dans l’album de Landis et Blair, est celui qu’on trouve dans les livres.

Inker dépeint ici une tragédie : un homme broyé par le système (la Grande Dépression, le cynisme des banques puis l’univers carcéral) dans sa chair comme dans son âme. Celle-ci est redoublée par le personnage du fermier noir encore moins bien traité dans ce sud ô combien ségrégationniste.

Une bd naturaliste haute en couleur à la croisée des arts
Alex Inker a choisi d’éviter la couleur bateau des années 1930 : le sépia. A la place, il nous gratifie d’un orange presque fluo (et de sa couleur complémentaire le bleu qui le tempère). Cette couleur est surprenante mais se retrouve dans beaucoup d’illustrés européens de l’époque : il l’a trouvée dans « Zig & Puce ». Un travail comme un autre, planche de l'album © Sarbacane / InkerCela donne donc bien un côté rétro et original à la fois, tout comme les trames qui apportent également dynamisme et substance. La couleur orange rappelle également l’uniforme des détenus dans les prisons américaines.

L’écriture d’Inker est aussi très cinématographique par ses cadrages et l’utilisation de la caméra subjective : une page entière est ainsi composée de vignettes noires pour monter l’évanouissement du héros après une rixe. La partie se déroulant en prison évoque, quant à elle, « O’brothers » des frères Coen (surtout la poursuite avec les chiens).

Enfin les paysages du Sud et les paysans en exode rappellent beaucoup les clichés de Dorothy Lange pour la FSA et les portraits photographiques d’Erskine Cadwell et Margaret Bourke White et captent bien l’atmosphère de l’époque.
Jouant des références dans le monde du 7e, 8e et 9 e art, « Un travail comme un autre » devient ainsi une étonnante bd naturaliste à la croisée des arts.

« Un travail comme un autre » n’est que le quatrième opus d’Alex W. Inker ; mais celui-ci fait preuve d’une étonnante maturité tant dans le graphisme que dans la narration et nous propose un album très subtil et très abouti. Cette bande dessinée est aussi très élégante. La fabrication, comme toujours chez Sarbacane, est hyper soignée : un format généreux de 180p, du papier épais, une impression en quadrichromie (crème, orange, bleu aube et marron), une couverture toilée et une belle reliure aspect cuir. Un travail comme un autre, planche de l'album © Sarbacane / InkerL’objet en lui-même est très beau et très agréable à manipuler et possède un côté massif qui sied bien au propos. Une œuvre parfaitement réussie donc, un vrai coup de cœur !

Après sa brillante adaptation de « Servir le peuple », Alex W.Inker s’attelle à celle du roman de Virginia Reeves « Un travail comme un autre » toujours chez Sarbacane. Il nous livre un récit tout en sobriété dans le découpage et la narration avec des dialogues minimalistes mais très authentiques. Il transpose l’histoire dans les années 30 au moment de la grande Dépression. On y retrouve un petit côté Steinbeck mais également beaucoup d’originalité dans le traitement des couleurs, les trames et le style semi-réaliste limite burlesque des personnages. Il démonte le « rêve américain » en nous livrant sans fard la descente aux Enfers d’un anti-héros pour lequel il nous fait éprouver de la compassion.

Une œuvre très aboutie aux multiples références artistiques servie par une magnifique finition. Un vrai coup de cœur !


-Je réponds à votre question : je lis un livre sur les oiseaux. Ils me passionnent. Il y en a une infinité ! avec une infinité de caractères ! Un peu comme nous …
-Alors qu’est-ce que je suis comme oiseau ?
- Vous, hum … un jaseur des bois ! Vous êtes un jaseur des bois !
-Et c’est beau comme oiseau ?
-J’adore les jaseurs ! Vous m’offrez une limonade ?Roscoe et Mary p.11-12




bd.otaku



Inspiration jeux de rôle

Cette fiche n' est référencée comme inspi pour aucun jeux de rôle.