La tranquillité de ville éternelle de Surin est quelque peu perturbée par l’ouverture d’un portail d’où pourraient surgir des nuées de démons sans y être conviés et donc asservis par des démonistes… Après avoir épuisé un à un ses meilleurs démonistes pour tenter de refermer le portail, le roi dû se rendre à l’évidence et faire rechercher le meilleur d’entre eux : Vlad plongé dans un profond coma depuis plusieurs années…

Tillie, la femme qu’il aimait comme un fou comme un soldat comme une star de cinéma accompagne son corps protégé par Hepsar, un démon majordome particulièrement puissant et zélé… Cet éreintant voyage est l’occasion pour le démon de narrer à son auditoire médusé la bouleversante et sublime (et un brin pathétique aussi) histoire d’amour qui unissait unilatéralement Vlad à la belle et plantureuse Tillie...

La première planche nous replonge avec une furieuse efficacité dans l’ambiance fantastique et déjantée qui baignait le premier tome… On y retrouve notre démon préféré (les louanges ne sont pas de trop au vu de sa puissance) qui fait un rapide résumé pour planter le décor et rafraîchir la mémoire des lecteurs distraits à la mémoire versatile…

S’ouvre alors un grand flashback où l’on va suivre Vlad, amoureux transi mais rejeté par l’élu de son cœur (à cause d’un lamentable mais impardonnable quiproquo et la jalousie exacerbée de Tillie) tenter de faire entendre raison à sa chère et tendre… Son diplôme en poche (mais d’extrême justesse), il décide de travailler pour rembourser sa dette faramineuse contracté lors de la destruction impromptue d’un bâtiment, il va faire montre de ses talents au cœur d’une arène où s’affrontent des démonistes par démons interposés, dans la plus pure tradition des Pokémons. Il va peu à peu se tailler une solide réputation et utiliser ses connaissances pour contacter Tillie pour qu’elle entende une fois au moins sa vérité… Bien évidemment, rien ne se passera vraiment comme prévu et, après bien des péripéties, chausse-trappe et révélations fracassantes, le lecteur captivé apprendra comment le puissant Vlad allait se retrouver plongé dans le profond coma où les lecteurs l’ont découvert… Le rythme est assuré par un retour au présent, histoire d’introduire ce sympathique mais cruel sentiment de frustration qui nous incite à tourner les pages sans ménager la moindre pause…

Porté par des dialogues décalés et des références à la pelle à la pop culture, le scénario est totalement déjanté et par là même follement jubilatoire, le scénariste parvenant à retranscrire l’ambiance si particulière qui peut régner autour d’une table de jeu de rôle avec des joueurs inventifs qui lâchent la bride à leur imagination, avec des répliques irrésistibles et percutantes et un sens du comique de situation particulièrement aiguisé... Et c’est d’autant plus vrai que le dessin expressif et enlevé de l’impressionnant GeyseR est au diapason du scénario. Les poses exagérément théâtrales et les trognes caricaturales dont il pare ses personnages participent à l’ambiance joyeusement déjantée qui règne sur ce récit fantastique et burlesque… Tant et si bien que c’est à regret qu’on quitte nos joyeux héros sur une note kitch et romantique teintée d’une pointe de mordante incertitude… Allez, messieurs les auteurs, un bon geste pour vos lecteurs .

Ce diptyque de délirium-fantasy rempli toute ses promesses et fleure bon la madeleine de Proust pour les rôlistes nostalgiques de ces soirées passées entre potes à manger des pizzas, boire du coca et agiter frénétiquement des dés cunéiformes en rigolant comme des tordus et en vivant de formidables aventures dont ils furent les héros…

On sent qu’Olivier Gay fut de ceux-là tant pour l’univers iconoclaste et déjanté qui sert de cadre à son récit que dans ces personnages expressifs et haut en couleurs, qu’à leurs dialogues irrésistiblement décalés, aux multiples références à la culture pop ou à la relation bien pensée qui unit démonistes et démons… Ajoutons à cela le dessin théâtral et expressif d’un GeyseR très inspiré qui souligne avec drôlerie le comique de situation de chaque scène et vous obtenez un album récréatif et drôlement rafraîchissant dont il serait bien dommage de se priver.

Bref, Démoniste, c’est bon, mangez-en (avec du miel et une pincée d’origan)…

- Non, mais on ne dirait pas comme ça, mais c’est un démon vicieux qui se battra jusqu’à son dernier souffle !
- Hein, quoi ?
- Oh, il est trop mignon !
- Quel choupinet !
- Et son maître n’est pas mal non plus.
- … On peut toujours essayer. On te donnera un nom du genre « le puceau » ou « le gamin », la foule va adorer.
- Alors en fait, je préférerais le conquérant »… dialogue entre Vlad, son démon, le directeur de l’arène et des (futures) admiratrices