1810. Dans le port de Plymouth se trouve le « Pillar to post », luxueuse et interlope maison close où des filles que d’aucuns auraient jugé perdues ont trouvé une famille soudée et un refuge accueillant…

Contraintes de gagner sa vie et après avoir dû délaisser son métier de couturière malgré ses indéniables talents, Tess est la nouvelle recrue du « Pillar to post » et, sitôt arrivée, elle déchaîne déjà les passions des habitués qui ne jurent que par elle et se pressent pour partager sa couche… Orpheline, elle ne rêve que de faire voile vers Madras pour retrouver son frère qui est désormais sa seule famille et semble prête à tout pour cela… Elle espère pouvoir convaincre le sémillant Allali, nouveau capitaine du « Last Chance » de l’y conduire… Au fil de leurs rencontres et de leurs échanges, tous deux vont apprendre à se connaître et à s’apprécier… Mais le capitaine est mandaté par les autorités pour une mission de première importance qui devrait le conduire en Algérie pour le compte de la couronne britannique.

Recueilli par un prêtre après la mort de son père, soldat hindou servant dans l’armée britannique, la pétillante Cinnamon a quitté son Inde natale pour le suivre en Angleterre avant d’échouer à Plymouth et de travailler au « Pillar to post », comme elle le confit à son amant, le Lieutenant Everett. La vie suit paisiblement son cours jusqu’à ce que surgisse dans sa vie un vieil indien au visage buriné et son turbulant singe qui semblent s’intéresser de près à elle et à son bracelet, dernier cadeau de son père défunt…

Salué par la critique, Le Port des Marins Perdus avait fait sensation lors de sa sortie en 2016. Les auteurs avaient semble-t-il, comme nous, du mal à abandonner leurs attachants personnages… Aussi ont-ils décidé de ressortir les décors construit pour cet album ainsi que les costumes tissés pour l’occasion pour écrire de nouveaux chapitres de leur envoûtante fresque historique… Après un premier tome entraînant publié en 2020, nous retrouvons donc notre maison close préférée et ses filles pleines de malice et de vie pour un nouvel opus tout aussi fascinant…

On retrouve dans cet album la poésie et la tendresse qui baignait le Port des Marins Perdus même si ce diptyque s’avère moins évanescent et un peu plus ancré dans son temps. Le contexte historique se fait plus prégnant mais on conserve la légèreté du premier opus. Le quotidien des filles du « Pillar to post » est ainsi édulcoré, la misère et l’âpreté de la vie dans les bordels de l’époque étant tout simplement passés sous silence pour mieux pouvoir développer l’aspect éminemment romanesque et délicieusement romantique de l’histoire de ces différentes filles, poussées par la passion et le vent du destin… Il y a décidemment de la noblesse et de la détermination dans ces filles de joie…

Abandonnant le trait spontané qui faisait le charme du Port des Marins Perdus, avec un dessin fascinant à la mine de plomb, Stefano Turconi revient à un dessin plus conventionnel. Son encrage s’avère tout à la fois souple et plein d’élégance alors que sa mise en couleur est d’une rare subtilité. Je suis tombé sous le charme ses lumières savamment mises travaillées qui contribuent à souligner l’émotion des personnages que ses pinceaux parviennent à retranscrire avec une rare acuité. En parfaite osmose avec celle de l’histoire, la douceur du dessin rend la lecture de l’album particulièrement touchante et entraînante… Evoquant le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet par la façon dont les auteurs décrivent et dépeignent la vie et le monde plus beaux et poétiques qu’ils ne le sont dans la réalité, ce second tome des Filles des Marins Perdus est un album précieux et revigorant qui nous permet de mettre entre parenthèse la morosité de notre triste époque… On ne peut qu’espérer une suite tant l’histoire nous a littéralement enchanté…

Après June et Lizzy, c’est donc au tour de Cinnamon et de Tess, la nouvelle recrue du « Pillar to post », d’avoir les honneurs d’un chapitre.

S’articulant autour de la désormais célèbre maison close, ces deux récits parallèles s’avèrent aussi passionnants l’un que l’autre tant ils sont balayés, à leur manière, par le souffle de l’aventure. On retrouve dans ce nouvel opus toute cette magie que Teresa Radice et Stefano Turconi avaient si bien su distiller dans leurs deux premiers albums. Le soin qu’ils apportent à chacun de leurs personnage, débordant de vie et d’une humanité revigorante, les surprises et les rebondissements qu’ils ont su ménager, le souffle qui balaye l’ensemble et le dessin généreux et lumineux font de cet album une petite merveille aussi apaisante que dépaysante à côté de laquelle il serait bien dommage de passer.

Il y a quelque chose du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain dans ce récit romantique et romanesque aussi entraînant qu’envoûtant… Les Filles des Marins Perdus est un album et une série à déguster sans aucune modération !

- Alors tu as réussi à voir le capitaine du Last Chance ?
-Oh, oui… Et même plusieurs fois ces derniers temps.
- On dirait que nos chemins ne cessent de se croiser chaque fois qu je sors faire une commission !
- Sans rire ? Avoue-le… Tu le suis !
- A moins que ce ne soit lui qui ne puisse résister à mes charmes ! Je l’attire come un phare en pleine tempête !dialogue matinal entre Cinnamon et Tess