Jusque-là, Jonathan Lassiter était employé dans le cabinet d’assurance Maxwell-et-fils où il subissait les brimades et les moqueries de ses collègues… « Etait » car il vient d’être remercié juste avant qu’hélène, sa compagne, ne le largue, sans ménagement par téléphone… Il pensait que rien de pire ne pouvait lui arriver… Il était encore loin du compte !

Alors qu’une pluie diluvienne s’abat sur la ville, il se réfugie dans un bar, fermement décidé à noyer ses tourments dans l’alcool… Au moment de payer, il s’aperçoit qu’on lui a volé son portefeuille… Edward, un bon samaritain élégant, cultivé et étrangement cynique venu fêter un étrange anniversaire se propose de régler sa facture à condition qu’il lui serve de chauffeur pour le raccompagner chez lui…

Mais avant, Edward va lui faire faire quelques détours par de luxueux établissements où il s’emploiera à provoquer d’inquiétants personnages… Commence alors une étrange nuit que Jonathan Lassiter n’est pas prêt d’oublier…

La composition atypique de la couverture (presque) en noir et blanc donne d’emblée le ton : ce nouvel album d’Eric Stalner s’inscrit dans le sillage des films noirs des années soixante alors que son titre à rallonge intrigue autant qu’il donne envie de se plonger dans la lecture…

Dès les premières planches, on perçoit que la filiation avec le septième art est au cœur de l’histoire, avec un découpage fascinant, un travail soigné sur les plans et les cadrages et une approche très cinématographique de la lumière qui baigne chaque case… Sans oublier le trait plein élégance qui caractérise l’œuvre du dessinateur de Fabien M, Saint-Barthélémy, de La Grande Peste ou, plus récemment, de Bertille & Bertille…

Le scénario s’avère tout à la fois délicieusement déroutant et follement entraînant… Déroutant car si on comprend que Jonathan qui a tout perdu suive presque malgré lui l’étrange Edward aux allures de David Niven (pressenti par Ian Fleming pour incarner son James Bond à l’écran !) auquel il emprunte l’élégante apparence et le flegme tout britannique, on ne comprend pas vraiment ce que cet homme distingué et désabusé attends de lui… Même s’il est clair qu’il n’agit pas par pure charité et qu’il compte bien faire jouer un rôle à ce jeune homme désormais célibataire et au chômage… Entraînant car les dialogues s’avèrent aussi savoureux que les situations alors qu’on assiste à la lente mue du jeune homme qui, titillé par Edward, va devoir, contraint et forcé, reprendre sa vie en main et accepter de tourner la page d’un trop douloureux passé…

Scénariste chevronné et dessinateur talentueux, Eric Stalner met en scène une foule de personnages inquiétants qui gravitent dans le monde d’Edward, balisant son récit de jalons qui vont prendre tout leur sens alors qu’on s’achemine vers l’inéluctable fin de l’album… Un album parfaitement maîtrisé qui, une fois terminé, donne furieusement envie de s’y replonger !

Après son iconoclaste Bertille & Bertille, Eric Stalner revient avec un polar ciselé qui s’inscrit dans la mouvance des films noirs des années 60…

Après avoir perdu son travail et sa compagne et s’être fait voler son portefeuille, Jonathan Lassiter croise la route d’Edward, un homme élégant, cultivé, cynique et faussement désabusé qui va lui tendre une main secourable mais intéressée… Il l’ignore encore, mais sa vie va s’en trouver totalement chamboulée…

Porté par un personnage et une narration aussi déroutante qu’entraînante, un dessin plein de délicatesse et d’élégance et une colorisation qui fait la part belle à la lumière, cet album à la pagination généreuse se dévore d’une traite et ravira tant les amateurs d’Eric Stalner que ceux des films noirs et des polars bien ficelés… Chaudement recommandé…

- Tu vois, c’est comme ça, dans toutes les histoires avec un petit ou un grand H. Il suffit de regarder autour de soi.
- Ah bon ? Où ça ?
- Ce n’est qu’un long défilé de mensonges, de travestissements, de trahisons, autour de nous, partout, que des farces plus ou moins sanglantes, des proies qui attendent de se faire broyer ou des petits despotes satisfaits d’eux-mêmes et prêts à tout.
- Vous êtes toujours aussi gai, dites-donc.
- Comme tous les ans, je fête les morts et les fantômes qui viennent nous hanter et nous tirer par les pieds pour réclamer leur dû.
- De quel dû voulez-vous parler ? Je ne comprends rien ç ce que vous racontez.
- Mon petit Mike, je sais que tu n’y comprends rien, mais cela ne m’empêche pas d’avoir envie de le dire.dialogue entre Mike et Edward