Hiroshima, 1900… Masataka Taketsuru n’avait que six ans lorsque son grand-père lui parla du whisky, un breuvage délicieux qu’il lui tarde désormais de découvrir… Mais, pour son père, héritier d’une longue lignée de brasseur de saké, cet alcool symbolise rien de moins que l’impérialisme américain. Ne serait-ce que boire cette boisson reviendrait à trahir son pays, ses traditions et ses ancêtres…

Pourtant, en grandissant, Masataka rêve de devenir le premier producteur de Whisky japonais, breuvage qu’il découvre grâce à un jeune irlandais dont le père est venu étudier à Hiroshima et qui deviendra son ami. Doté d’un nez hors du commun, il se rendra en écosse pour y étudier la chimie organique et percer le secret de la fabrication du whisky. Là, il logera dans la famille de son ami qui n’est pas revenu de la Grande Guerre et tombera amoureux de sa promise, Rita Cowan…

De retour au Japon, il va un temps s’associer à son mentor, Shinjiro Torii… Mais ce dernier privilégiant les profits immédiats à la fabrication d’un breuvage d’exception, il décide de rompre leur association et de créer sa propre distillerie…

Les amateurs de whisky savent qu’après les whisky écossais et irlandais, il faut désormais compter avec les whiskys japonais… Ce qui peut sembler être une hérésie à certains s’avère être une formidable et envoûtante aventure humaine et une audacieuse aventure entrepreneuriale…

Fabien Rodhain et Alcante se propose de nous raconter le destin peu commun de Masataka Taketsuru qui est considéré comme le fondateur de l’industrie du whisky japonais. Pour cela, il devra partir étudier l’art de la distillation à l’autre bout du monde, souffrir de voir son père le renier pour avoir, contre sa volonté, décidé de poursuivre son rêve de créer le premier whisky du pays du soleil levant… Pour couronner le tout, il épousera une écossaise, ce qui ne pouvait qu’heurter la sensibilité de ses parents dans l’un des pays les plus conservateur de ses traditions qui soit… Que d’obstacles il a dû franchir pour parvenir à ses fins, tant du côté des amateurs de whisky pour qui seuls l’Ecosse et l’Irlande pouvaient concevoir un whisky de qualité que des japonais eux-mêmes dont il ne coulait pas de source qu’il apprécierait ce breuvage rapporté par la flotte du commodore américain Matthew Perry en passant par la guerre qui marqua un coup d’arrêt à sa production naissante ou la pression de ses actionnaires qui préféraient le voir produire une boisson de piètre qualité mais en grande quantité plutôt qu’il alcool d’exception destiné à une élite de connaisseurs fortunés…

Se teintant d’un magnifique histoire d’amour, l’histoire concocté par les auteurs des Damnés de l'Or Brun, le récit de Fabien Rodhainet Alcante s’avère tout à la fois touchant et passionnant. Sa construction scénaristique s’avère impeccable, avec ce duo de critique de whisky, l’un écossais, l’autre irlandais qui se retrouvent à Londres en 2007 pour participer au World Whiskies Awards qui désignera le meilleur whisky… Tous deux découvres amusés l’existence d’un whisky japonais avant que de s’en faire conter l’histoire et d’y goûter, ne pouvant que constater les indéniables qualités de cette boisson produite dans les règles de l’art…

Après son impressionnant Retour de flammes (scénarisé par le talentueux Laurent Galendon), Alicia Grande revient pour mettre en image le rêve de Masataka Taketsuru. Avec justesse et sensibilité, ses crayons retranscrivent la passion qui anime le jeune homme tout au long de sa vie… La capacité de l’artiste à nous faire ressentir les états d’âme de chacun des personnages confère toute sa force au récit tandis que le soin apporté aux décors fait revivre avec force le Japon et l’Ecosse de la première moitié du XXe siècle, rendant hommage à la beauté de la culture et des paysages…

Que vous soyez ou non amateur de whisky, ce nouveau récit de Fabien Rodhain et Alcante a tout pour vous captiver… Leur histoire à la pagination généreuse nous entraîne dans le sillage de Masataka Taketsuru, héritier d’une lignée de brasseur de saké qui rêve de produire un whisky de qualité au Japon…

Malgré les nombreux obstacles qui vont se dresser sur sa route, de son père qui, ne comprenant pas que son fils puisse sacrifier des traditions ancestrales et la mémoire de ses ancêtres, le renie, à son mentor qui privilégie le rendement à la qualité et à la seconde guerre mondiale qui va interrompre son travail ambitieux, l’homme, doté d’un nez hors du commun, ne va jamais abandonner son rêve…

Avec cette biographie passionnante, les auteurs nous esquissent le portrait d’un homme passionné mis en image par le trait sensible d’Alicia Grande qui retranscrit avec force les émotions de chacun des protagonistes de l’histoire… Amitié, passion, rivalités, amours et filiation entrent dans la composition de ce Whisky San qui s’avère être absolument passionnant… A l’instar du Chocolat de Lasse Hallström, il n’est pas inutile d’avoir un (bon) whisky à portée de main sous peine de se sentir particulièrement frustré !

- Ton grand père t’a-t-il expliqué que la découverte de cette boisson américaine coïncide avec la capitulation du Japon devant ces sauvages… qui nous ont forcé à commercer avec eux t à accomplir ce qu’ils appellent le progrès, qui transforme et dénature notre pays ?Si nous les laissons faire, si nous acceptons tout, jusqu’où ira cette invasion ?
- Moi, quand je serai grand, j’inventerai le premier whisky japonais. Bah oui, comme ça, ce sera plus une boisson étrangère !dialogue entre Masataka Taketsuru et son père