S’il est un truc qui m’impressionne toujours autant, c’est l’âge auquel Luc Brunschwig a commencé à écrire son
Pouvoir des Innocents, une série dystopique et visionnaire d’une incroyable maturité qui, outre le sien, a révélé l’hallucinant talent de Laurent Hirn qui n’a pas son pareil pour donner vie à ces personnages qui sont, bien plus que de simples figurant, des êtres de chair et de sang qui nous chavirent et nous bouleversent, et avec qui on pleure, on souffre et on espère en des jours meilleurs… La qualité d’écriture de chacun des personnages conjugués au trait expressif du dessinateur et à son saisissant travail sur leurs postures et leurs gestuelles crédibilise le récit et le rendent plus bouleversant encore… Clairement, ces deux auteurs étaient faits pour se rencontrer…
Après un premier cycle bluffant qui s’achevait sur un twist aussi hallucinant que vertigineux et qui laissait le lecteur sonné, les larmes aux yeux et un étrange espoir chevillé au corps, les auteurs ont poursuivit leur histoire de cette Amérique plus déchirée que jamais, nous offrant une vision prophétique et glaçante de l’Amérique de Trump qui vient d’être reconduit à la tête du pays, malgré ses son racisme, ses outrances et ses mensonges…
Dans le premier cycle comme dans les suivants, le scénariste posait en filigrane la question de ce que nous sommes prêt à faire pour tenter de changer cette société injuste et inégalitaire…
Mais
l’Enfer est Ici, comme le souligne le titre du second cycle du pouvoir… Et si l’humaniste Jessica Ruppert est élue à la mairie de New-York, faisant se lever un vent d’espoir salutaire et revigorant, les néo-conservateurs œuvrent en coulisse pour entraver son action tandis que Joshua Logan, considéré comme le seul responsable du tragique attentat, est devenu bien malgré lui, leur emblème et leur porte drapeau… Puis les années passent alors que l’Amérique se divisent résolument en deux camps que tout oppose et Jessica a intégré le gouvernement démocrate en devenant son Ministre des Affaires Sociales, esquissant les contours d’une société plus juste centré sur l’humain et non sur la recherche exacerbée du profit, ce qui en fait la principale cible de l’opposition conservatrice…
Chacun des cinq albums de chacun des trois cycles est une petite merveille de construction scénaristique qui transporte littéralement le lecteur et le fait vibrer à l’unisson de ces personnages attachants et tragiquement humains. Scénariste et dessinateur font montre d’un talent confondant de la dramaturgie et de la mise en scène, témoin ces incroyables scènes de procès, dont la tension est formidablement retranscrite par une écriture ciselée et une mise en scène impeccable, porté par le découpage scénaristique nerveux et incisif de Luc Brunschwig et les cadrages virtuoses de Laurent Hirn. Retranscrire un procès avec autant de force que les plus grands films du genre était un pari risqué… Mais les deux auteurs s’en tirent avec un indéniable brio…
Après avoir abandonné le lecteur à l’aube d’un monde plus juste avec un premier cycle magistral, Luc Brunschwig et Laurent Hirn ont poursuivi leur récit sur deux autres cycles qui esquissaientt un portrait d’une Amérique déchirée entre deux visions diamétralement opposée de la société.
La qualité d’écriture du scénariste conjugué au talent de metteur en scène du dessinateur rendait l’histoire particulièrement poignante et bouleversante et ce d’autant que le soin apporté à l’écriture des personnages était sublimé par la façon dont ils étaient mis en images, faisant d’eux de formidables vecteurs d’émotions… Abandonner ces personnages après avoir passé trente-deux années et quinze albums en leur compagnie s’avère étrangement douloureux, comme si on voyait pour la dernière fois des amis chers qui nous ont accompagné durant de longues années…
Et comment ne pas être impressionné par l’aspect résolument visionnaire du Pouvoir des Innocents qui dépeignait bien avant l’heure notre sombre époque où Donald Trump vient d’être reconduit au pouvoir, malgré ses outrances et ses mensonges éhontés, augmentant encore le gouffre existant entre deux Amériques qui semblent désormais irréconciliables ?
Cette chronique porte plus sur la série dans son ensemble que sur ce cinquième opus des Enfants de Jessica… Mais pouvait-il en être autrement alors qu’il conclut de façon magistrale l’un des chefs d’œuvre du neuvième art ? Luc Brunschwig est pour moi définitivement l’un des scénaristes les plus talentueux de son temps… Et si vous avez la chance de ne pas encore connaître le Pouvoir des Innocents, précitiez-vous… Je vous envie…