SdImag d'or 2024
Les meilleurs albums de l'annee
Meilleure Série 2024 : Un monument du neuvième art
Après avoir abandonné le lecteur à l’aube d’un monde plus juste avec un premier cycle magistral, Luc Brunschwig et Laurent Hirn ont poursuivi leur récit sur deux autres cycles qui esquissaientt un portrait d’une Amérique déchirée entre deux visions diamétralement opposée de la société.
[©D21292©]La qualité d’écriture du scénariste conjugué au talent de metteur en scène du dessinateur rendait l’histoire particulièrement poignante et bouleversante et ce d’autant que le soin apporté à l’écriture des personnages était sublimé par la façon dont ils étaient mis en images, faisant d’eux de formidables vecteurs d’émotions… Abandonner ces personnages après avoir passé trente-deux années et quinze albums en leur compagnie s’avère étrangement douloureux, comme si on voyait pour la dernière fois des amis chers qui nous ont accompagné durant de longues années…
Et comment ne pas être impressionné par l’aspect résolument visionnaire du Pouvoir des Innocents qui dépeignait bien avant l’heure notre sombre époque où Donald Trump vient d’être reconduit au pouvoir, malgré ses outrances et ses mensonges éhontés, augmentant encore le gouffre existant entre deux Amériques qui semblent désormais irréconciliables ?
Cette chronique porte plus sur la série dans son ensemble que sur ce cinquième opus des Enfants de Jessica… Mais pouvait-il en être autrement alors qu’il conclut de façon magistrale l’un des chefs d’œuvre du neuvième art ? Luc Brunschwig est pour moi définitivement l’un des scénaristes les plus talentueux de son temps… Et si vous avez la chance de ne pas encore connaître le Pouvoir des Innocents, précitiez-vous… Je vous envie…
Meilleure Série Jeunesse 2024 : Démasqués !
Ce troisième tome du second cycle de Super s’inscrit dans la droite ligne des précédents albums en nous proposant une intrigue bien ficelées riches en surprises tout en continuant de développer des personnages attachants et fort bien écrits.
Après le sauvetage de la Tour Senegas au cours duquel Lili perdit son masque, les journalistes eurent tôt fait de retrouver son identité et celle de son frère. Après avoir envisagé de quitter le pays, Mat et Lili ont décidé d’agir désormais au grand jour, utilisant les médias pour forcer la main au gouvernement… Mais la ministre n’a pas renoncé à ses rêves de pouvoir et manipule les médias et les réseaux grâce à une IA particulièrement puissante…
Toujours aussi bien servi par le dessin, les couleurs somptueuses et les compositions soignées de Dawid, aussi à l’aise dans les scènes d’action virevoltantes que dans les scènes contemplatives ou intimistes, le scénario de Frédéric Maupomé s’avère encore et toujours captivant et entraînant, montrant si besoin était que Supers est bien plus qu’une série jeunesse !
Meilleur Album Fantastique 2024 : Mélancholia
Serge Lehman retrouve Stéphane De Caneva pour signer un récit envoûtant et singulier qui mêle les genres avec une redoutable efficacité…
Max, Artur et Sébastien sont amis depuis l’enfance et le temps n’a en rien altéré leur amitié. Il y a vingt ans, Neige Agopian et Max sont sortis ensemble et auraient sauté le pas si Neige n’était partie pour un séjour linguistique pour ne jamais revenir. Désormais père d’un ado et séparé de sa compagne, Max voit affluer ses souvenirs lorsqu’il apprend que Neige est de retour en ville, espérant secrètement renouer avec elle… Alors qu’elle entreprenait des travaux dans sa maison, Neige met à jour une fresque fascinante réalisée par un peintre oublié… Tandis que Max, Sébastien et Arthur tentaient de l’identifier, Neige disparait subitement, après qu’une sorte de cri insoutenable soit sorti de sa maison… La bande du Panorama, du nom de la rue où ils habitaient enfants, va tenter de la retrouver, suivant une piste un peu folle négligée par les forces de l’ordre…
Superbement édité avec une couverture magnifique qui semble dans un premier temps être en total décalage avec le récit, cette histoire commence comme un récit nostalgique autour du retour d’un amour d’enfance pour étendre ses ramifications vers le fantastique et ses racines vers un passé lointain empli d’insondables mystères… Porté par la narration graphique impeccable et envoûtante d’un Stéphane De Caneva qui nous livre des scènes intimistes bouleversante de justesse et des séquences fantastiques ébouriffantes, le scénario chargé de mélancolie de Serge Lehman s’avère aussi troublant que fascinant… Quel formidable conteur que ce scénariste-là, qui a toujours su s’attacher les crayons de dessinateurs virtuoses pour mettre en image ses récits singuliers et signer des chefs d’œuvre du neuvième art… Parmi les coups de cœur de cet automne, ces Navigateurs occupent le haut du panier…
Meilleur Album Jeunesse 2024 : Un conte initiatique poétique
Laurent Galendon associe sa plume aux crayons de Michaël Crouzat qui signe un premier album somptueux et poignant…
Depuis la mort de leur parents, disparus lors du tsunami qui a engendré la catastrophe de Fukushima, Osamu et Akiko, sa grande-sœur, vivent chez Bâ-chan, leur grand-mère… Lorsque celle-ci meurt, ils doivent se résoudre à aller vivre à Tokyo, chez Seiichi et Sanae, la cousine de leur regretté père… Mais pour Osamu, Bâ-chan doit reposer à Tomioka, auprès de son époux… Le jeune garçon décide de fuguer après avoir convaincu sa sœur de la justesse de sa quête, dut-elle les mener au cœur de la zone contaminée…
Venue de l’animation, Michaël Crouzat met en scène une poignée de personnage attachants joliment écrits par un Laurent Galendon qui fait comme de coutume la part belle à l’humain et à l’émotion. Le sens du cadrage et du mouvement de ce dessinateur venu de l’animation rendent la lecture de l’album particulièrement fluide et immersive alors que l’on suit le jeune Osamu dans sa quête initiatique qui le verra renouer avec la vie qui l’avait délaissé après la mort a frappé ses parents… Si le récit touchera les jeunes lecteurs auquel il se destine, les poussant à s’interroger sur les ravages de l’incident, qui impacteront pour des décennies la vie des habitants, les moins jeunes seront tout aussi conquis par la poésie qui se dégage de cette histoire simple et bouleversante…
Retour à Tomioka est un album solaire tout à la fois tragique et revigorant qui nous fait partager le quotidien des survivants de la catastrophe de Fukushima…
Meilleur Album 2024 : Le goût de la vie
Xavier Dorison associe sa plume à celle d’Antoine Cristau et aux pinceaux virtuoses de Stéphane Servain pour tisser un récit d’apprentissage généreux et bouleversant de justesse…
La vie d’Ulysse semblait écrite avant même sa naissance : après de brillantes études, il succéderait à son père à la tête la prospère cimenterie familiale comme ce dernier avait succédé au sien… Oui mais voilà, les études et les mathématiques ne sont guère du goût du jeune homme qui s’efforce néanmoins de se conformer aux exigences familiales. Mais les révélations d’un journal jettent un voile trouble sur le comportement de son père durant l’occupation et ce dernier envoie sa famille se mettre au vert en Bourgogne durant la durée du procès… Là, Ulysse fera la rencontre de Cyrano, un épicurien ancien chef étoilé qui allait lui ouvrir les portes d’un nouveau monde et faire naître chez le jeune homme la passion de la Grande Cuisine… Mais son père acceptera-il qu’il tourne le dos au lourd héritage familial ?
Construit autour de deux personnages particulièrement attachants qui vont nouer des liens bouleversant, le scénario de Xavier Dorison et Antoine Cristau est un hymne à la vie et à l’apprentissage du bonheur… Abordant avec finesse la thématique de l’héritage et de la transmission, les scénaristes signent un album d’autant plus bouleversant qu’il est mis en scène par les pinceaux virtuoses de Stéphane Servain qui signe un album somptueux et charnel en tous points délicieux, son travail étant par ailleurs sublimé par une mise en couleur et en lumière aussi fascinante qu’envoûtante… Superbement édité, riche en surprises et en émotions, Ulysse & Cyrano est un petit chef d’œuvre intimiste, graphique et scénaristique qui nous rappelle pourquoi on aime la bande-dessinée.
Meilleur Polar 2024 : Que la montagne est belle
Après leur Homme gribouillé, Serge Lehman et Frederik Peeters se retrouvent pour signer l’un des polars les plus fascinants et des plus hallucinanés de ces dix dernières années…
L’action se déroule dans une station thermale nichée au pied d’une montagne. Un détective y débarque pour retrouver un fils d bonne famille disparu il y a plusieurs semaines. La bourgade est tenue d’une main de fer par un riche industriel qui, pour avoir voulu prendre les distances avec son oligarque de beau-père va se faire assassiner sur ordre de ce dernier… Des trafics en tous genre, une fillette enlevée, une revenante, un Volkh, des grenouilles envahissantes, une galerie de personnages décalés et joyeusement barrés et quelque chose qui se réveille et s’apprête à frapper sont au menu de ce dernier opus dont le dernier acte sera aussi violent que sanglant.
Il y a une réelle osmose entre la fascinante construction scénaristique de Serge Lehman et le dessin singulier de Frederik Peeters, ses couleurs hypnotiques et sa mise en scène tarantinesque, avec notamment une scène de fusillade qui fera date… Ces deux auteurs au talent confondant mettent en scène une galerie de personnages iconoclastes et décalés alors que chaque pièce du puzzle narratif mis en place au cours des quatre tomes précédents viennent s’assembler de façon vertigineusement cohérente malgré des incursions dans le fantastique…
Porté par une atmosphère oppressante et singulière, Saint-Elme est d’ores et déjà un classique des polars du neuvième art, à ranger aux côtés de Blacksad, Criminal, Parker ou Tyler Cross…
Meilleur Album Documentaire 2024 : Seule(s) contre la loi
Bobigny 1972 revient sur le très médiatique procès de Marie-Claire Chevalier, jeune fille de 16 ans poursuivie pour avortement illégal. Gisèle Halimi, son avocate, signataire du Manifeste des 343 et co-fondatrice de Choisir la Cause des Femmes, allait en faire une tribune médiatique pour dénoncer la loi de 1920 interdisant le recours à l’avortement…
L’association de Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel apparait comme une évidence tant la conjugaison des talents respectifs de ces deux autrices donne lieu à une œuvre somptueuse, bouleversante, édifiante et salutaire, le genre d’album qui nous permet d’affirmer que la bande-dessinée est bien un art à part entière permettant d’aborder avec finesse et intelligence des sujets sociétaux de première importance.
La saisissante capacité de Carole Maurel à donner à voir et à ressentir les émotions de ses personnages et la qualité d’écriture de l’album, des dialogues jusqu’à sa structure narrative impeccable, tout contribue à faire de cet album l’un des plus poignant et des plus brillant de ce début d’année en nous donnant à comprendre ce qui s’est joué au Tribunal de Bobigny en octobre et novembre de l’année 1972.
L’un de ces chefs-d’œuvre qui vous font aimer la bande-dessinée…