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Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Pas de soucis pour le tutoiement
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Merci à toi !
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Un passionné de dessin depuis toujours, qui a fait des études de commerce pour assurer ses arrières. Quelques années après, je suis retourné vers mon premier amour, la BD, pour tenter d'en faire mon métier. A cette époque ma « formation » s'est surtout faite sur le forum d'arts graphiques Café Salé, grâce aux conseils et critiques des autres intervenants (eux-mêmes des créatifs, mais avec beaucoup plus d'expérience).
J'ai finalement réussi à décrocher mon premier contrat chez Delcourt pour la série
Blind Dog Rhapsody avec mon scénariste Herik Hanna. Et j'ai la chance de continuer à faire ce métier depuis.
Pour les passions, sans grandes surprises, ça va être tout ce qui a trait aux arts narratifs. Que ce soit Bande-dessinées, films, romans, séries, jeux vidéos, etc... Tant que l'on me raconte une histoire, vous avez mon intérêt !
Pour les hobbies, ça va être les arts graphiques, forcément. Dessin, sculpture, modélisation 3D, photographie.
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Le jeu de rôle compte parmi les arts narratifs. Est-ce un loisir que tu as pratiqué ?
A l'inverse de mon scénariste, non, je n'ai jamais pratiqué le JDR.

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Enfant, quel lecteur étais-tu et quels étaient tes livres de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupé une place de choix ?
Enfant j'étais un gros lecteur, avec une majorité de BD mais pas que. Par contre, pas spécialement de BD de chevet, c'était vraiment le médium en général, basiquement tout ce sur quoi je pouvais mettre la main. Ça allait du journal de Mickey, aux emprunts dans les collections de mes proches, à la bibliothèque, etc...
Tout ce que j'avais le droit de lire, je le lisais en gros. Pour ce qui est de la BD en tout cas !
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Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ? Un auteur en particulier a-t-il fait naître ta vocation ?
De mémoire ça a toujours été ma réponse à la sempiternelle question que l'on pose aux enfants : « qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? ». Ça évolué un peu plus tard aux alentours de l'adolescence vers « soit de la BD, soit de l'animation », et c'est resté depuis.
Pour un auteur en particulier aux origines de la vocation, non, pas vraiment.
J'avais beau vouloir en faire mon métier plus tard, gamin je ne réfléchissait pas vraiment à la personne derrière le livre, c'était vraiment le dessin et le médium BD qui me fascinaient.

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Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Les grandes joies sont multiples. On vit de sa passion, donc même si la veille on était content que la journée de travail se termine, on est toujours content d'attaquer la nouvelle. Rien que ça c'est déjà précieux.
Les difficultés il y en a aussi et leur nature varie.
Il y a le côté « marathon » de ce métier pour le dessinateur. C'est un travail de longue haleine, j'ai mis jusqu'à plus d'un an et demi sur un livre (le tome 1 de RsN) donc c'est un travail de patience.
Et il y a le manque complet de statut des auteurs au niveau des administrations, etc... Au-delà du fait que ça complique chaque démarche, il y a l'absence totale de couverture et d'encadrement qui en découle.
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En 2014, tu signes Blind Dog Rhapsody sur un scénario de Herik Hanna. Comment votre route a-t-elle croisée la sienne ?
On s'était rencontré à la base sur un autre scénario de lui, mais dans un genre complètement différent. Le projet n'avait pas trouvé preneur mais on était resté en contact car le hasard avait voulu que l'on habite, à l'époque, juste à côté l'un de l'autre.
Un jour il m'envoie un scénario qu'il a écrit pour lui, pour le fun, juste que pour je le lise et lui donne un avis. Je lui ai répondu deux ou trois jours plus tard avec une planche et des croquis de personnages !

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Comment est né le Royaume sans nom dont le second opus vient de paraître ? Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce récit de medieval-fantasy dont le fond et la forme évoque une tragédie shakespearienne, une bonne dose d’humour mordant en sus ?
A la base, le projet vient de Herik Hanna et Bruno Bessadi en 2014 je crois.
Après avoir travaillé ensemble sur
BAD ASS ils cherchaient leur prochain projet. Bruno Bessadi avait une envie de « Conan avec des animaux » (ce qui deviendra plus tard « l'ogre lion ») et Hérik Hanna une envie de « Richard III dans l'espace ».
Le croisement des deux a donné naissance au royaume sans nom, Richard III avec des animaux..
Bruno avait aimé le scénario mais ne se voyait pas illustrateur dessus.
Comme il le fait souvent, Herik m'a envoyé le scénario pour que je le lise et ça a été un coup de cœur. Donc j'ai mis une option dessus si je puis dire, car à l'époque on commençait à peine le one-shot de
BAD ASS que l'on a fait ensemble, donc je n'allais pas pouvoir m'y atteler tout de suite.
Pour ça aussi que ce projet a eu une gestation si longue.
Pour ce qui m'a séduit, ce n'est pas vraiment
un truc en particulier.
Quand on s'engage sur une série de ce type (3 tomes de 60 pages, donc l'équivalent de 4 tomes 46 pages classique), on sait qu'on part pour 4 ou 5 ans de sa vie. Donc c'est vraiment au coup de cœur.
Si j'enquille la lecture du scénario d'une traite parce que je suis à fond dedans, que je m'attache aux personnages, et que ma muse intérieure passe en mode Super Sayen au fil des pages... Généralement c'est bon signe.

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Comment s’attaque-t-on à un récit anthropomorphique ? L’apparence des personnages s’est-elle rapidement imposée où sont-ils passés par différents stades avant de revêtir celle que l’on sait ?
Non, l'apparence des persos ne s'est pas imposée de suite, loin de là. Ça a été tout un processus.
Déjà, parce que dessiner des animaux ce n'était pas du tout une spécialité pour moi, il a fallu apprendre.
Et ce n'était pas une mince affaire car, en plus de tout ce qu'il fallait apprendre, il y a tout ce qu'il fallait désapprendre. Car à force de dessiner des humains pendant des années, on prend plein d'automatismes, de réflexes de dessins. Et d'un coup, il faut tous les mettre de côté car ils ne sont pas transposables sur des animaux.
Donc ce n'était pas chose simple. Il y a eu beaucoup d'errance au début du projet.
Puis viennent les questions de choix graphiques. Fait-on des humains avec des têtes d'animaux, ou des animaux anthropomorphiques ? Car ces deux écoles fonctionnent complètement différemment.

Dans le premier cas les personnages font tous plus ou moins la taille d'être humains, ils ont des mains humaines, des cheveux parfois, etc...
L'autre méthode, ce sont des animaux qui se tiennent debout, donc on garde leur anatomie générale, leur taille, leurs sabots le cas échéant, leur queue, leurs ailes, etc.... Et ça pose des défis à chaque fois.
Un personnage avec des sabots qui doit écrire, il va falloir ruser !
Une conversation entre une souris et un éléphant, si leur taille est basée sur la vie réelle, ça change forcément la façon de mettre en image la scène.
Et des questions comme ça il y en a eu à foison.
Beaucoup plus que je n'avais anticipé pour être honnête !
Mais c'est là où la gestation longue de cette série a été utile.

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Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
On me pose souvent cette question en dédicace, mais je déçois souvent en répondant qu'aucun en particulier à vrai dire.
Une des qualités du projet en tant que dessinateur, c'est que j'ai des scènes d'action, de drame, d'humour, d'aventure à mettre en scène. Et ces aspects ont souvent leurs personnages attitrés. Donc si je suis d'humeur à faire du drame, ça sera la reine ou son fils qui ont mes faveurs, si je suis plus d'humeur comique ça va être le raton ou le renard et leurs compères, etc...
Après, bon... j'aime beaucoup animer les ursidés car ils sont tout en rondeur, et la reine j'aime faire le design de toutes ses tenues. Mais c'est purement du plaisir de dessin, pas vraiment lié aux persos en eux-mêmes.
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Comment s’est organisé le travail avec Herik Hanna sur cet album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ?
Très classique pour le coup. Sauf qu'on fait tout au complet à chaque étape, au grand plaisir de notre éditeur. J'entends par là que dès le début j'ai un scénario complet sur lequel travailler, puis je fais un story-board complet de l'album moi aussi.
Ça permet à tout le monde d'avoir une vision d'ensemble du livre.
Là-dessus tout le monde rebondit, éditeur et scénariste donnent leur remarques et à partir de là l'album est pour ainsi dire bouclé. Au niveau de sa narration en tout cas.
Après, reste plus qu'à dessiner (même si ça représente 95% de mon temps de travail!
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Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Le story-board, sans aucun doute.
C'est la partie la plus fun car la plus créative. C'est là que l'album nait, que les persos prennent vie.
Et surtout ça va vite ! Chose rare dans la création d'une BD,
Couverture du tome 3, Worl in Progress

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Comment s’est opéré le choix du talentueux Lou comme coloriste sur la série ?
Le choix ne s'est pas posé, j'avais découvert le travail de Lou sur le forum café salé il y a très longtemps, et j'ai toujours voulu travailler avec lui depuis.
Là ça a enfin été l'occasion de le faire (il faut que les plannings s'alignent et c'est pas toujours simple..) et je dois dire que, au vu du résultat, je suis pas peu fier de notre choix. Il a fait un travail monumental sur les albums.

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La couverture du second tome s’avère tout aussi somptueuse que celle du premier… S’est-elle rapidement imposée ou était-elle en concurrence avec d’autres versions ?
Il y a eu beaucoup de recherches pour les couvertures. L'exercice de la couverture n'est jamais simple, mais là c'était d'autant plus vrai sur cette série.
Donc forcément, on basait les recherches sur le tome 1 et il y en a eu un paquet, sauf que dans le tas il y en avait une qui était pour le tome 2.
Et elle a beaucoup plu donc elle est devenue la référence autour de laquelle on a créé les autres.
Et là aussi je me dois de féliciter Lou car son travail aux couleurs sur les couvertures est magnifique !
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Dans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement ? Silence monacal ? Musique de circonstance ? Podcast ?
Pour le story-board, c'est musique uniquement, généralement une bande originale de film/jeu/série/anime qui correspond à la séquence que je travaille.
Pour le reste, crayonné/encrage, c'est tout et n'importe quoi. Podcasts, documentaires, twitch, etc...

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Aurais-tu une anecdote à nous raconter sur ton travail sur cette série ?
A l'origine,
le Royaume sans nom avait été écrit pour Bruno Bessadi (Zorn et Dirna, Bad Ass, L'ogre lion). En 2014, après avoir collaborés sur
Bad ASS, lui et mon scénariste cherchaient un projet sur lequel bosser ensuite. Bruno voulait faire « Conan avec des animaux », et H.Hanna avait « Richard III dans l'espace » en tête. Le résultat fut « Richard III avec des animaux », c'est à dire le tome 1 du Royaume sans nom.
Mais c'était beaucoup plus Shakespeare que Howard au final, donc Bruno est parti faire l'ogre lion de son côté.
Puis Hanna m'a fait lire le scénario juste pour avoir un avis, et ça a été le coup de foudre pour moi. J'ai … « posé une option » sur le projet si je puis dire, parce qu'à l'époque j'entamais le travail sur notre spin-off de BAD ASS.
Puis est venu le moment de s'atteler au projet, et de faire face au plus gros défi, apprendre à dessiner les animaux !

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Est-il un scénariste avec lequel tu rêverais de travailler ?
J'entame le travail sur le projet suivant en ce moment même, et c'est toujours en collab' avec H.Hanna, donc je suis déjà bien équipé à ce niveau-là,
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Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets présents et à venir ?
On travaille sur un projet thriller/action/horreur, avec des humains ce coup-ci ! C'est un gros One-shot de 120 pages, donc il va lui falloir quelques temps de production à celui-là,
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Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En jeux,
S.T.A.L.K.E.R 2 et le remake de
Silent hill 2.
En musique,
Slaughter to prevail (attention les oreilles...), et les B.O's de Hellblade 2 et Expedition 33.
En film, c'est un peu la disette en ce moment... Mais vu que je viens de le revoir,
Furiosa.
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Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
►un personnage de BD : Garfield
►un personnage de théâtre : François Pignon
►un personnage de roman : Jonathan Harker
►un animal : un chat
►une chanson : un mix entre le « Flower duet » et la B.O de DOOM.
►un instrument de musique : une batterie
►un jeu de société : le poker
►une découverte scientifique : le matelas
►une recette culinaire : la baguette
►une pâtisserie : une tarte aux fraises
►une ville : Paris, la nuit
►une qualité : perfectionniste
►un défaut : perfectionniste
►un monument : La porte des Enfers de Rodin (elle est monumentale, du coup ça compte. ndlr : pas de soucis
)
►une boisson : une bière d'abbaye, fraîche
►un proverbe : « à trop regarder l'arbre, on en oublie la forêt »
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Un dernier mot pour la postérité ?
I'll be back !
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Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé ! Et pour cette magnifique série !